vendredi 27 février 2015

«Lorsque la menace est trop importante pour les expatriés, on met en place le "remote control"»

Isabelle Prime, 30 ans, a été kidnappée avec son interprète mardi à Sanaa au Yemen par des hommes déguisés en policiers. Laurent Fabius a appelé mercredi les ressortissants français à quitter le pays, devenu «extrêmement dangereux». Cet enlèvement pose notamment la question des menaces qui pèsent sur les humanitaires français présents dans les zones à risques. 20 Minutes a interrogé Anne-Céline Okonta, chargée de la sécurité pour les missions d’Action contre la Faim France.

Comment évaluez-vous les risques de sécurité?

On part du principe que la sécurité est un prérequis pour l’action humanitaire. Il n’y a aucun endroit sans risque. Pour chaque pays, on fait une analyse. Au niveau du siège, on réalise des études basées sur les dynamiques géopolitiques, sur des discussions avec des chercheurs, avec d'autres ONG présentes dans la zone. Dans le même temps, sur le terrain, les chefs de missions nous font des retours de leur quotidien. A partir de là, on réalise des scénarios d’évolution, pour pouvoir affecter nos activités. Le seuil d’acceptabilité varie également en fonction des besoins humanitaires de la zone

Sur quoi repose la sécurité de vos membres?

Sur trois piliers. D’abord, l’acceptation. L’idée est de savoir si les membres de l’ONG sont bien perçus par les communautés locales. On discute avec les populations pour faire comprendre notre mission, notre rôle d’interlocuteurs neutres.
Deuxième chose, la protection, à travers la mise en place de règles de sécurité. On peut restreindre l'accès à certaines zones, limiter les horaires, mettre en place un couvre-feu, installer un mur autour de notre campement, s'assurer des moyens de communication efficaces pour que tout le monde puisse être joignable tout le temps. On peut également faire appel si besoin est à des «watchmen», des gardes non armés de compagnie privée. Dernier pilier, la dissuasion. On peut envisager la présence de gardes armés, mais en dernier recours, car cela peut être très mal perçu.

Y a-t-il des zones trop dangereuses pour les expatriés?

Lorsque la menace est trop importante pour les expatriés, on met en place le «remote control» (contrôle à distance). On renforce alors les équipes de terrains avec des nationaux. Les expatriés sont éloignés de la zone, et coordonnent les opérations à distance depuis un autre bureau régional par exemple. C’est le cas en Somalie depuis 2009, même si on recommence à retourner très progressivement dans le pays. On prend également en compte les recommandations du ministère des Affaires étrangères. On nous a demandé par exemple si ACF avait des ressortissants français au Yémen après l’enlèvement de la Française. Ce n'était pas le cas.

Le risque s’est-il accru pour les Français depuis quelques semaines?

En 2014, plusieurs événements politiques internationaux ont eu un impact sur nos activités. Je pense notamment à l’engagement militaire de la France en Irak. S’est posée alors la question des expatriés français dans la zone, et de l’évolution de la perception de nos interlocuteurs sur le terrain. Certaines décisions politiques peuvent brouiller l'image que les locaux se font de nos membres. Dans certaines zones au Sahel, en Irak, au Yémen, le risque d’enlèvement existe. Cela nous amène à être davantage vigilants.
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