Le peuple syrien ne croit pas (Bachar) al-Assad, moi non plus": cette phrase de Recep Tayyip Erdogan, lancée durant sa tournée dans le monde arabe, résonne comme l'aveu que le Premier ministre turc a décidé de lâcher celui qu'il qualifiait d'"ami", il y a encore quelques mois.
"Alors que le bilan des civils tués ne cesse d’augmenter en Syrie, nous constatons que les réformes ne se sont pas matérialisées et que (les dirigeants) n’ont pas parlé honnêtement", a regretté mardi M. Erdogan, en visite au Caire, première étape d'une tournée dans trois pays du "Printemps arabe".
"C’est incroyable. Le peuple syrien ne croit pas Assad, moi non plus. Nous ne le croyons plus", a-t-il ajouté, signe que les relations privilégiées, tant économiques que politiques, forgées depuis plusieurs années entre son gouvernement islamo-conservateur et la Syrie, sont aujourd'hui au plus bas.
"On peut parler d'une rupture dans les rapports bilatéraux", estime Oytun Orhan, du Centre d'études stratégiques du Moyen-Orient (ORSAM), basé à Ankara.
Pour cet analyste, la rupture a été consommée lors d'une visite du chef de la diplomatie turque Ahmet Davutoglu à Damas début août, où les dirigeants syriens ont fait la sourde oreille à ses conseils pour l'arrêt immédiat de la répression des manifestations anti-gouvernementales, qui a fait selon l'ONU plus de 2.600 morts depuis mars.
Depuis, Ankara ne cesse de critiquer crescendo M. Assad, avec lequel M. Erdogan a entretenu ces dernières années des liens d'amitié, mais sans pour autant appeler franchement à son départ comme l'ont fait les Etats-Unis et l'Union européenne.
"Le régime syrien autocratique est tout simplement incapable de faire les changements démocratiques réclamés par la communauté internationale, ça n'est pas possible", commente M. Orhan.
M. Erdogan, qui effectue cette semaine une tournée en Egypte, Tunisie et Libye, et qui vante volontiers le système politique turc, mariage selon lui réussi de l'islam et de la démocratie, a aussi mis en garde contre une guerre civile en Syrie.
"Je crains que les choses ne tournent à la guerre civile entre alaouites et sunnites", a-t-il déclaré dans un entretien publié mardi par le journal égyptien Al-Chourouk.
La minorité alaouite, branche de l'islam chiite, détient les postes-clés du pouvoir en Syrie.
"Nous savons que l'élite alaouite domine au sein du régime, de l'armée et des forces de sécurité", a ajouté M. Erdogan. "La colère du peuple est dirigée contre eux, non seulement parce qu'ils sont un instrument du gouvernement, mais aussi en raison de leur confession, et le régime syrien joue cette carte dangereuse".
Selon un haut responsable turc, une guerre civile en Syrie serait "désastreuse" pour la Turquie, pays voisin de la Syrie, majoritairement sunnite mais qui compte lui aussi différentes communautés, dont une forte minorité kurde, installée des deux côtés de la frontière.
"Les conséquences seraient énormes pour la Turquie, que ce soit pour la sécurité ou pour les échanges", a-t-il dit à l'AFP, sous couvert d'anonymat.
La Turquie accueille actuellement quelque 7.000 réfugiés syriens, qui ont fui la répression dans leur pays.
Incapable de faire entendre ses conseils et mises en garde répétés au régime syrien, Ankara tente malgré tout de faire pression sur Damas, en accueillant sur son sol depuis avril des réunions de dissidents syriens.
Des opposants syriens doivent ainsi présenter jeudi à Istanbul la liste des membres d'un "Conseil national", censé représenter toutes les grandes forces de la contestation, et destiné à coordonner leur lutte contre le régime.
http://www.liberation.fr/depeches/01012359855-la-turquie-lache-le-regime-syrien-craint-une-guerre-civile
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire