Un document manuscrit signé par Liliane Bettencourt désigne expressément François-Marie Banier comme le bénéficiaire de l'île d'Arros après la mort de la milliardaire. Saisi par la police chez son notaire, ce courrier, daté du 24 mai 2003, accrédite les soupçons sur la relation intéressée qu'entretenait le photographe avec l'héritière de L'Oréal. Il accrédite aussi les soupçons sur l'identité du propriétaire réel de cet îlot aux Seychelles, acquis par Liliane Bettencourt au travers d'un montage financier opaque.
Versée au dossier de la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui instruit le complément d'information sur les soupçons d'"abus de faiblesse" à l'encontre de François-Marie Banier, la lettre se présente comme une disposition testamentaire adressée à la fille de la milliardaire, Françoise Bettencourt-Meyers, pour être lue "en cas de décès". La vieille dame y donne ses instructions dans les termes suivants : "Tu hérites d'une fabuleuse fortune que j'ai préservée et allégée d'impôts pour que tu sois en paix. À moi, maintenant, de te dire que je désire rester où je suis en paix. C'est-à-dire que ce que je te demande, tu le feras. Et j'en suis convaincue. J'ai connu par François-Marie d'Arros, mon île aux Seychelles, détenue par un anstalt du Liechtenstein, dont le papier est dans la main de Me Merkt, notre avocat à Genève. Je désire que tu transfères la propriété de cette île à François-Marie Banier (chez Pictet, à Genève, tu auras un milliard de francs). Tu donneras à François-Marie la moitié, il te restera beaucoup d'argent. N'oublie pas que tu as Neuilly, New York et puis... L'Oréal."
N'ignorant rien de la méfiance que son ami photographe inspirait à sa fille, Liliane Bettencourt concluait en indiquant : "Je n'ai jamais discuté tes choix, ne discute pas les miens."
Des requins et des moustiques
Outre qu'elle contredit nettement les protestations de François-Marie Banier, qui avait, par exemple, affirmé à la brigade financière avoir toujours "détesté les îles" et d'Arros en particulier - "Elle est bourrée de moustiques, minuscule et il y fait très humide. En plus, il y a des requins..." -, la découverte de ce document suscite plusieurs interrogations. D'une part, les enregistrements clandestins du maître d'hôtel de Liliane Bettencourt ont révélé que celle-ci ne gardait aucun souvenir d'avoir voulu attribuer au photographe ce paradis caché. Au cours d'une conversation captée le 11 mai 2000, l'octogénaire s'entendait ainsi expliquer par son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, que l'île était d'ores et déjà promise à Banier : "A priori, ça va aller chez François-Marie Banier un jour. C'est votre décision..." La milliardaire répondait alors, étonnée : "J'ai voulu lui offrir une île ?"
Autre motif de trouble : la référence, sous la plume de Liliane Bettencourt, à la société du Liechtenstein qui détenait les titres de propriété de l'île paraît incongrue, puisque tout indique qu'elle n'a jamais su les détails de l'acquisition de ce bien, racheté en 1999 à la famille du Shah d'Iran. En outre, il est particulièrement surprenant qu'elle demande à sa fille d'opérer elle-même de tels transferts, connaissant son inimitié envers Banier, alors qu'il aurait été plus simple et plus direct d'inscrire ces dispositions dans son testament.
Troubles de conscience
Sur le courrier saisi par les enquêteurs, figure en marge cette annotation également manuscrite : "Cette lettre a été écrite avant mon opération. J'ai adressé la copie à François-Marie Banier, tu le comprendras." En effet, la milliardaire, alors âgée de 80 ans, devait subir une intervention chirurgicale : elle fut effectivement admise le 26 mai 2003, soit deux jours plus tard, à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, où elle resta jusqu'au 5 juin. À la même époque, plusieurs témoins ont rapporté qu'elle présentait des troubles de conscience tels qu'il lui arrivait de ne pas reconnaître ses proches, ni les lieux où elle se trouvait.
"De mars-avril 2003 à la fin de 2003, Mme Bettencourt avait des moments de lucidité qui alternaient avec les moments où elle était ailleurs", a notamment témoigné son ancienne comptable, Claire Thibout, ajoutant : "Dans ces moments-là, elle n'est plus du tout sûre de ce qu'elle fait et elle ne sait même plus qu'elle a, par exemple, signé telle ou telle chose dans les quinze jours qui précèdent." Il semble par ailleurs qu'au cours de la seule année 2003, la vieille dame a accordé pour 250 millions d'euros de dons divers au photographe, dans des circonstances parfois confuses. Il est ainsi établi qu'au printemps 2003, elle décida subitement d'annuler la donation à Banier d'un contrat d'assurance-vie, qu'elle finit par lui réattribuer quelques mois plus tard.
Dans un long article publié la semaine dernière par Paris Match, Liliane Bettencourt justifiait sa générosité passée envers son ami photographe par une longue amitié, tout en évoquant un "problème d'ordre matériel" qui aurait pesé sur leur relation et en affirmant avoir désormais l'intention d'"arrêter les frais". À la question "pourquoi lui avoir donné tant d'argent ?", elle répondait : "Parce qu'il en demandait ! J'imagine que c'est une déformation ancestrale, chez lui ! C'est quelqu'un qui veut toujours plus, toujours plus gros." Mais l'entretien ne comportait aucune question précise sur l'île d'Arros.
http://www.lepoint.fr/societe/l-etrange-lettre-qui-donne-l-ile-d-arros-a-banier-06-10-2010-1245730_23.php
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