« Laissez-moi faire », avait suggéré le procureur de Nanterre à l’Elysée, lorsque l’affaire avait connu ses premiers développements. Mais cet homme entier, hostile au compromis, a été trop loin. Politiquement dérangeant, il doit entrer dans le rang.
C’est une claque magistrale, à la mesure de sa personnalité, entière et excessive, hostile au compromis. Procureur de Nanterre, Philippe Courroye va devoir ouvrir une information judiciaire, c’est-à-dire confier à un juge d’instruction de son tribunal les cinq enquêtes préliminaires qu’il dirigeait, seul contre tous et qui portaient sur : un possible financement politique illégal, concernant le ministre Eric Woerth ; une éventuelle prise illégale d’intérêts sur l’embauche de son épouse par Liliane Bettencourt en contrepartie de l’octroi d’une Légion d’honneur à Patrice de Maistre, son gestionnaire de fortune ; la violation de la vie privée, après les enregistrements pirates des conversations de la milliardaire par son maître d’hôtel ; et enfin, blanchiment de fraude fiscale au sujet de son île au Seychelles et des 80 millions d’euros déposés en Suisse et non déclarés.
Désigner un juge d’instruction indépendant et incontrôlable, c’était prendre le risque d’une mise en examen d’Eric Woerth, qui n’aurait présumé en rien de sa culpabilité mais aurait achevé de le disqualifier en pleine période de négociation sur les retraites. C’était surtout ouvrir la boîte de Pandore, sans savoir ce qui allait en sortir. Le procureur voulait garder la main en se contentant d’enquêtes préliminaires, conduites sous sa seule autorité. Alors même qu’il était cité dans les écoutes téléphoniques, démontrant que l’Elysée était au courant de ses futures décisions. Juge et partie. « Je pense que M. Courroye a choisi volontairement ce cadre procédural pour ne pas aller au fond des choses », déclarait l’ancienne juge d’instruction Eva Joly, devenue députée européenne.
Introduire un juge d’instruction dans le circuit ? « Il n’y a aucune raison technique, juridique ou procédurale », déclarait Philippe Courroye, cet été, au Monde. De nombreux magistrats l’ont pourtant pressé de le faire. Tout comme les dirigeants du Parti socialiste. La pression s’accroît lorsque, fin septembre, Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, saisi par la députée européenne Corinne Lepage, « recommande que les investigations se poursuivent dans le cadre de l’information judiciaire ». Mais le procureur de Nanterre ignore superbement ce « conseil », émanant pourtant de la plus haute autorité judiciaire.
En même temps, le procureur a tout fait pour empêcher la juge Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre du tribunal de Nanterre, d’enquêter sur l’abus de faiblesse dont aurait été coupable le photographe François-Marie Banier, par le biais d’un supplément d’information. Jusqu’à se saisir d’une plainte de George Kiejman pour ouvrir une enquête préliminaire – la cinquième – pour « violation du secret de l’enquête », visant explicitement son ancienne collègue et amie, du temps où travaillaient ensemble comme juges d’instruction au pôle financier de Paris. Problème : pour confondre Isabelle Prévost-Desprez, Philippe Courroye dépasse les bornes. Il fait saisir les relevés téléphoniques de deux journalistes en liaison avec la juge, alors que la loi exige leur assentiment préalable. Il demandera même, en toute illégalité, le contenu des SMS s’opposant au refus de l’opérateur téléphonique.
Un pont trop loin ? Nicolas Sarkozy et Philippe Courroye entretiennent des relations amicales, ouvertement assumées. Au début de l’affaire, le procureur de Nanterre avait fait passer un message à l’Elysée : « Laissez-moi faire. » De Nicolas Sarkozy à Philippe Ingall-Montagnier, le procureur général de Versailles, supérieur de Courroye, en passant par la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie, toute sa hiérarchie avait donc laissé le procureur de Versailles agir à sa guise. Jusqu’au début de la semaine où, face à la bronca de toute la magistrature, le pouvoir a baissé le pouce.
Ancien membre des cabinets de plusieurs ministres de la Justice de droite, le procureur général de Versailles a donc enjoint Philippe Courroye d’ouvrir une information judiciaire. C’est un artifice procédural : dès qu’un juge du tribunal de Nanterre sera nommé, la Cour de cassation « dépaysera » tous les dossiers Bettencourt-Woerth vers un autre tribunal, à Paris ou à Lyon. Il faudra tout reprendre de zéro. Eric Woerth, Liliane Bettencourt et les prédateurs qui l’entourent ont gagné un répit : ils seront tranquilles, sans doute jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Au moins.
http://www.francesoir.fr/justice/philippe-courroye-somme-de-lacher-les-dossiers-woerth-bettencourt.45320
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