Agé d'une soixantaine d'années, il a tenu à se faire appeler M. Paul et n'a accepté de s'exprimer qu'après de multiples sollicitations. Originaire du Sud-Ouest, il est toujours resté dans l'ombre. Au moment de l'affaire Boulin, c'était l'un des hommes de main du Service d'action civique (SAC), l'organisation clandestine fondée par les gaullistes au moment de la guerre d'Algérie. « Si je prends le risque de parler, c'est pour la famille de Boulin... Quand je vois ce qu'a vécu sa fille, ce n'est pas correct. Je ne crois pas à la thèse du suicide du ministre. Cette histoire sent mauvais. »
C'est en 1983 que M. Paul plonge malgré lui dans l'affaire Boulin. Juste au moment où l'enquête est relancée après la plainte pour homicide volontaire déposée par la fille de l'ancien ministre. Totalement dévoyé, le SAC avait été dissous un an plus tôt, après la tuerie d'Auriol où certains de ses membres avaient été impliqués. « Il n'a pas disparu d'un seul coup. Il a été remplacé par le MIL (Mouvement initiative et liberté). En 1983, c'est Pierre Debizet, l'ancien grand patron du SAC, qui présidait la réunion à laquelle on m'a demandé d'assister. »
« Un coup à la Kojak »
« Pierre Debizet est resté trois jours à Bordeaux. Le premier soir, il est venu me voir. Il m'a dit : "Il y a des documents très importants à récupérer dans le Libournais, Est-ce que tu veux t'en occuper ?" Je ne savais pas de quoi il s'agissait, j'ai dit oui. Il m'a alors demandé de me mettre en relation avec Regis D. C'était un cadre du SAC bordelais. Je le connaissais. Ancien des services secrets, il a viré truand à la fin de sa vie et est mort d'un cancer il y a trois ans.
Le troisième jour, avant le départ de Pierre Debizet, nous avons dîné tous les trois. C'est là qu'ils m'ont dit que les documents concernaient Robert Boulin. Régis D. était très bien renseigné : il connaissait l'adresse et le lieu exact où ils étaient cachés, à l'intérieur d'une résidence secondaire d'un notable dans le Libournais. Régis D. a établi le mode opératoire. Je devais infiltrer un groupe de truands sans envergure qui avaient l'habitude de faire des casses dans des baraques de la région. »
« Je les ai suivis sur quelques coups, puis j'ai glissé l'adresse que m'avait donnée Régis D. Au cas où nous nous ferions arrêter par la police, on m'avait donné un numéro de téléphone à appeler. Pendant que les truands mettaient la maison sens dessus-dessous, j'ai visité la pièce qu'on m'avait indiquée. En quelques secondes, j'ai récupéré le dossier. Il était épais d'une dizaine de centimètres. Je ne l'ai pas ouvert. Ce n'est qu'après que j'ai compris l'importance de ces documents. Le soir même, j'ai tout remis à Régis D. avec qui j'avais rendez-vous dans un bar bordelais où le SAC avait ses habitudes. Il les a regardés et il a pris un avion. Je pense qu'il a tout remis à Debizet. »
En l'état, il est bien sûr impossible d'accorder aux souvenirs de M. Paul plus de valeur qu'à un témoignage anonyme. Reste que toutes les vérifications que nous avons pu réaliser autour de ses paroles et de son parcours (dont il nous est impossible de faire état sans compromettre son identité) attestent de la crédibilité de son témoignage.
« On a dit que le SAC était dans le coup dans la mort de Boulin. Mais jusqu'en 1983, je n'en entendais pas parler dans les réunions, poursuit M. Paul. Si le SAC est mouillé, ce que j'ignore, à mon avis ce n'est pas une opération montée par l'organisation. Comment dire, c'est pas du bon boulot. Enfin, c'est pas un professionnel qui a fait ça. Je pencherais plutôt pour des éléments isolés. Un coup à la Kojak (sic), comme pour la tuerie d'Auriol. À la fin, il y avait beaucoup d'éléments incontrôlables au sein du SAC. »
Groupes occultes
À l'évidence, les documents volés par M. Paul s'ajoutent à la longue liste des disparitions de pièces qui ont accompagné le dossier Boulin. Selon Fabienne Boulin, dès 1980 « des barbouzes du RPR » seraient venus interroger Laëtitia Sanguinetti (la fille d'un des fondateurs du SAC) pour savoir « si elle possédait des preuves écrites de l'assassinat ». Plusieurs cambriolages auraient également eu lieu à son domicile.
Les confidences de M. Paul ne nous apprendront rien sur le contenu du dossier volé dans le Libournais (vraisemblablement chez un avocat, selon nos informations). Mais elles illustrent au moins une chose, s'il en était encore besoin : le rôle assigné à des groupes plus ou moins occultes dans le suivi des affaires sensibles de la Ve République. Et la porosité qui a pu exister entre ces groupes, les politiques et les services de renseignement. À l'évidence, au moins à l'heure où il était question d'ouvrir une instruction pour l'homicide d'un ministre, ce petit monde n'a pas manqué de s'intéresser de très près au dossier Boulin.
http://www.sudouest.fr/2011/02/12/le-mysterieux-m-paul-316684-2780.php
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