jeudi 20 janvier 2011

Les confidences agressives d'Éric Woerth

"Ce n'est pas facile de se défendre quand vous êtes... tout seul". Éric Woerth enlève ses lunettes et se frotte les yeux. "Je m'attendais à plus d'appuis de la part de François Fillon et de François Baroin. Je pensais que l'État assumerait sa politique immobilière".


Entre la poire et le fromage, l'ancien ministre nous confie son désarroi, le 12 janvier, veille de l'annonce par la Cour de justice de la République (CJR) de l'ouverture d'une enquête sur son rôle dans la vente de l'hippodrome de Compiègne. Il n'aura connaissance de cette décision que le lendemain, mais déjà il anticipe "une mauvaise nouvelle". "De toute façon, je n'ai que de mauvaises nouvelles, ces temps-ci..." Soupir. Il commande du pain perdu. En le dévorant, il s'avoue "profondément déçu par l'attitude de Matignon".


Woerth a assuré au Figaro du 5 janvier qu'un débat s'était tenu entre administrations et que Matignon avait tranché. Au lieu de confirmer cet arbitrage, les services du Premier ministre ont indiqué : "Il y a eu une réunion informelle à Matignon, au niveau des conseillers, à la demande du ministère de l'Agriculture. Lors de cette réunion, les deux ministères de l'Agriculture et du Budget sont tombés d'accord." Grimace de Woerth. "J'ai trouvé très moyen cette réaction ambiguë et peu claire. Pourquoi Fillon se tait ? Pourquoi monsieur Baroin, qui est le responsable des ventes immobilières de l'État, ne dit rien ? J'ai eu une discussion un peu vive avec lui avant Noël. Je ne ferais pas comme ça, à sa place..."


Et il y fut, à ladite place, au temps - récent - où il était encore l'un des chouchous du président, présenté par tous - et d'abord par Sarkozy - comme le possible successeur de Fillon. C'était hier ; c'était une autre époque. L'affaire Bettencourt est passée par là. "Regardez ce qu'on lui a fait, compatit un ministre : on l'a confirmé pour qu'il porte la croix jusqu'en haut du Golgotha, puis on l'a crucifié. C'est horrible ! Jamais on ne dira la réforme des retraites de Woerth".


Sans compter les rumeurs sur sa vie privée. "J'étais un comptable, une sorte de saint, et soudain, je suis devenu un escroc qui trompe sa femme et qui est le père de l'enfant de l'une de ses collaboratrices. Ça m'a fait rire, ces bêtises. Pas mon épouse, qui m'en veut de ne pas avoir porté plainte". Cette féministe, qui, le 21 juin, a enduré l'humiliation d'entendre son mari annoncer sa démission à elle, n'a toujours pas retrouvé de travail, même si elle a conservé son poste d'administratrice de Hermès International. "Florence a monté sa boîte de conseil financier, mais les clients ne se bousculent pas. L'affaire Bettencourt a tétanisé l'ensemble de la République".


Incroyable sang-froid


Il entend se prémunir contre l'aigreur : "Moi, le petit gars né à Creil, j'aurais pu être Premier ministre de mon pays, c'est déjà bien. Je ne l'ai pas été, mais peut-être que je le serai un jour. De toute façon, ça se terminera bien. C'est un problème de délai". Où puise-t-il cette confiance ? Dans la religion ? "Je vais à la messe régulièrement. J'essaye d'avoir la foi". Pause. "Je ne me réfugie pas là-dedans. Je ne cherche aucun refuge, d'ailleurs. J'affronte".


Derrière l'incroyable sang-froid, l'orgueil est tapi. On ne peut rien comprendre de Woerth si l'on ne mesure pas à quel point il a fait de sa résistance un motif, puissant et apaisant, de fierté. Ce qui lui permet de ne pas craquer, c'est l'orgueil de se prouver, ainsi qu'au monde entier, qu'il est capable de tenir. Hors du commun dans l'épreuve. Ainsi se veut-il, ainsi se vit-il. Y compris en vacances au Cambodge.


Fin décembre, en arrivant au Sofitel de Siem Reap, à 8 heures du matin, après avoir vu le soleil se lever sur un temple, alors qu'il marchait sous les arches bienveillantes de l'hôtel, en bordure d'un lac suave, afin de retrouver sa femme dans la salle de petit-déjeuner, le voilà qui tombe sur... un éminent journaliste politique parisien peu connu pour son indulgence vis-à-vis de l'État Sarkozy ! Et Woerth qui espérait s'être, quelques jours durant, retiré de ce monde-là. "Il a eu la force de me sourire et de me consacrer quelques minutes", témoigne ce confrère.


La maîtrise de soi, encore et toujours. Woerth tient à préciser qu'il n'a pas "pété les plombs", à l'Assemblée, mi-septembre, lorsqu'il a traité une députée PS de "collabo". "Il était presque 7 heures du matin, je siégeais depuis quatre heures de l'après-midi la veille. Elle disait que le mensonge était ma seconde nature, voire la première. J'ai cherché froidement ce que j'allais lui répondre. Je n'ai pas disjoncté". À ses yeux, la précision est d'importance.


La rébellion du bon petit soldat


Quand il apprend que la CJR va s'occuper de son cas, le 13 janvier, il tombe le masque du flegme : "C'est un truc de fous, je suis dans un monde de fous !" Il se reprend : "Je ne devrais pas dire ça à propos de la justice, mais c'est tellement dingue. Il n'y aurait pas eu Compiègne s'il n'y avait pas eu Bettencourt. C'est vraiment parce qu'on veut me chercher". Quand il a vu Sarkozy, quelques jours après son interview au Figaro, le président lui a assuré avoir sommé Baroin de sortir du mutisme. Sans effet. "On est dans le vide absolu, déplore Woerth. Fillon ne m'a pas appelé depuis longtemps".


Le 12 janvier, Woerth nous confie avoir, trois jours plus tôt, téléphoné à Jean-Paul Faugère, directeur de cabinet de Fillon, "pour lui rentrer dans le chou", selon ses mots. Se serait-il enfin résolu à sortir du rôle de bon petit soldat ? "Je ne comprends pas leur silence, répète-t-il. Baroin ne fait que de la com. Fillon ne veut pas se mouiller. Ce sont des édredons". Lui demande-t-on s'il a des amis, dans le milieu politique, qu'il biaise : "À droite, je n'ai pas d'adversaires, ce qui est déjà un exploit". Ce n'était pas notre question. "Je n'ai pas décidé de faire de la politique en groupe. Je trouve ça factice".


Lors des voeux de Sarkozy aux parlementaires, le 12 janvier, il s'assoit à l'avant-dernier rang. Mais, parce qu'il met un point d'honneur à "se montrer", il ne se sauve pas sitôt le discours présidentiel achevé. Il s'approche de Fillon : "J'aimerais vous entendre, toi, Baroin et compagnie. J'ai besoin que ceux qui sont responsables de la politique immobilière de l'État aient le courage de s'exprimer pour rappeler qu'elle consiste à vendre ce qui n'est pas stratégique".


Le Premier ministre lui promet un rendez-vous rapide. Woerth serre de nombreuses mains apitoyées. "Il est fermé comme une huître et, en même temps, il a besoin de se justifier, témoigne un élu UMP. Il est indéchiffrable. Ni jovial ni sincère". À l'Élysée, ce soir-là, flottait sur les lèvres de Woerth un sourire incertain. Jusqu'alors, il n'était pas mécontent que Fillon loue sa placidité : "Heureusement que c'est toi". Sous-entendu : un autre aurait craqué. À présent, il aimerait que la peur de le voir flancher oblige l'exécutif à le soutenir. Il songe à écrire un livre. Très vite.


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