La bataille judiciaire, prévue les 22 et 23 mars, entre le chanteur et Le Nouvel Observateur s'annonce saignante. De ses rencontres - réelles? - avec l'écrivain Paul Léautaud à son amitié - trahie? - avec Georges Brassens, c'est toute sa carrière qui va défiler à la barre. L'Express verse une pièce inédite au dossier.
A vrai dire, on n'y croyait plus. Depuis près de quarante ans, Pierre Perret jurait que Paul Léautaud lui avait dédicacé l'un de ses ouvrages. La scène se serait passée à l'occasion d'une visite du chanteur à l'ermite de Fontenay-aux-Roses, dans son capharnaüm envahi de chats. Mais on n'avait jamais vu la chose. Ni dans son petit livre, Adieu monsieur Léautaud (Julliard), paru en 1972, où il relatait ses longues conversations avec l'écrivain. Ni après un article au vitriol du Nouvel Observateur, en janvier 2009, qui accusait pourtant sans détour: "Perret n'a jamais rencontré Léautaud." Le chanteur avait hurlé au complot, poursuivi l'hebdomadaire en justice - le procès va se tenir les 22 et 23 mars prochains. Mais toujours pas la moindre dédicace à l'horizon.
Aussi, lorsque l'on croise l'artiste, fin février, entre deux galas à Dinan et Saint-Chamond, n'a-t-on qu'une question à la bouche: et cette fameuse dédicace? Pour toute réponse, le chantre des Jolies Colonies de vacances, 76 ans, bon pied bon oeil, s'installe à la table de l'un de ses avocats, ouvre sa sacoche, en extrait un objet protégé par un plastique, enlève délicatement l'élastique qui l'entoure et sort un exemplaire des fameux Entretiens avec Robert Mallet, de Paul Léautaud, parus chez Gallimard, en 1951.
On ouvre et on découvre ceci, tracé à l'encre noire un peu passée: "A Pierre Perret, avec des années de retard et mes cordialités. P. Léautaud. Le jeudi 26 août 1954" (voir document ci-dessus). Tout "léautaldien" reconnaîtra la petite écriture régulière de l'Alceste de Fontenay-aux-Roses. "Il me l'a faite chez lui, à la plume d'oie. Regardez, il m'a même corrigé, à la main, une phrase fautive, à la page 351", commente Perret.
Une "preuve ADN"
Dans une affaire criminelle, on parlerait presque de "preuve ADN". Pierre Perret le sait bien qui, avec la méticulosité d'un médecin légiste, remballe délicatement la pièce à conviction dans ses habits de plastique. Car, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, au soir d'un demi-siècle de music-hall, face à la journaliste Sophie Delassein, qui l'a traité de "menteur" et d'"imposteur", c'est son honneur qu'il va jouer. Lui qui avait résisté aux fans déchaînés des Rolling Stones, dont il avait assuré la première partie, à l'Olympia, en 1964, semble ébranlé. Ce qui donne, en Perret dans le texte: "En cinquante piges, je n'avais jamais pris un tel seau d'immondices sur la cafetière."
Au coeur des débats, donc, les relations entre l'auteur du Zizi et Paul Léautaud. C'est la scène originelle, maintes fois racontée, de la carrière du petit saxophoniste de Castelsarrasin monté à Paris à 18 ans pour effectuer son service militaire. "Je l'admirais éperdument et, un peu inconscient, j'ai décidé, moi, jouvenceau inconnu, d'aller taper à sa porte, raconte donc une nouvelle fois Perret. Il m'a reçu en bougonnant, m'a d'abord claqué la porte au nez, puis m'a rattrapé dans les escaliers. Nous avons parlé tout l'après-midi, au milieu de ses chats, dans sa maison poussiéreuse. Il y avait aussi Guenette, sa guenon. Il m'a conseillé de lire Voltaire, Diderot, Stendhal. J'étais émerveillé. Après cette première rencontre, je suis retourné le voir plusieurs fois."
Mais pourquoi cette fascination pour Léautaud (1872-1956), qu'on ne lit plus guère aujourd'hui (et on a grand tort, Le Petit Ami et Passe-Temps étant des merveilles de liberté de ton...)?
Pour comprendre, il faut revenir au début des années 1950: à une époque où la télévision était quasiment inexistante, l'écrivain aux chats a littéralement tenu la France en haleine, en 1951, lors de ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet. Ses piques, son rire irrésistible - "Ohohohohoh!", ses coups de canne - "Tonk! Tonk! Tonk!" - ont fait de ce styliste déguisé en clochard une véritable star.
"Se prévaloir de relations avec Léautaud a donné à Pierre Perret une aura littéraire, tant auprès du public que de Georges Brassens, dont il s'est rapproché à cette époque, assure Sophie Delassein, bien décidée à en découdre avec l'auteur de Mon p'tit loup, avant d'ajouter: mais s'il l'a vraiment rencontré, comment se fait-il que son nom ne soit jamais mentionné dans le Journal littéraire de Léautaud?"
Bonne question. Ce Journal est un monument de 19 volumes, 6000 pages savoureuses plongeant dans la vie littéraire du XXe siècle - on y croise Apollinaire, Valéry et Gide - où affleure la solitude d'un homme qui préfère les chats aux enfants, la bougie à l'électricité et, plus que tout, son indépendance d'esprit aux conventions. Mais, en effet, pas la moindre trace de "Perret (Pierre)" dans l'index. "Je n'étais qu'un jeune inconnu pour lui, pourquoi m'aurait-il mentionné?" avance l'auteur de La Cage aux oiseaux.
"Vous savez, je suis allé voir assez souvent Léautaud à Fontenay entre 1951 et 1953, j'y ai croisé sa grande amie, Marie Dormoy, j'en ai tiré des articles, il m'a envoyé quelques lettres, mais mon nom n'est pas cité non plus dans son Journal, observe Christian Millau, qui fut un redoutable chroniqueur littéraire, avant de fonder le Gault&Millau, et devrait témoigner au procès à la demande de Perret. J'apportais des bananes à Guenette. Un jour, j'avais même traîné Léautaud au cocktail de lancement d'un nouvel hebdomadaire, La Parisienne. On l'avait installé entre deux starlettes sexy, il était aux anges. Mais pas un mot de cela dans son Journal."
Il est vrai que le Journal des années 1953 à 1956 - Léautaud s'éteint en février de cette année-là - période où Perret dit l'avoir fréquenté, demeure assez lacunaire. L'année 1953 ne compte que 38 entrées (une partie du manuscrit ayant été volée), l'année 1954 en totalise 52 et l'année 1955 à peine une centaine.
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http://www.lexpress.fr/culture/livre/accuse-de-mensonge-par-le-nouvel-obs-pierre-perret-riposte_969805.html
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