Au volant d'une Renault Clio bleu de la gendarmerie, le militaire stoppe à notre hauteur, baisse sa vitre et menace : « Vous allez me dire que vous prenez des photos de la forêt... Mais vous n'avez pas le droit de circuler sur cette route privée, même à pied. Ici, vous vous trouvez dans une zone interdite, vous devez partir... » Nous obtempérons mais, comme l'indique la carte d'état-major 2233-O du canton de Corrèze, nous sommes sur un chemin communal, le chemin n° 8 du village de Sarran. Satisfait, le gendarme regagne son cantonnement flambant neuf, situé au lieu-dit le « Moulin de Bity ».
A un kilomètre du château de Bity, au beau milieu des pâturages du plateau corrézien de Millevaches, ce militaire et ses cinq autres collègues veillent, été comme hiver, sur le joyau immobilier de la famille Chirac. Un petit bijou en granit sur un domaine de 9 hectares qui, aujourd'hui quasi en ruine, ne vaut visiblement plus grand-chose. En revanche, le coût de sa protection est, lui, ruineux... Les salaires et indemnités bruts ainsi que les charges pour véhicules et armement de ces six gendarmes représentent une addition de près de 420.000 € par an pour les contribuables. Mais il y a eu pire. Durant les douze années de présence de Jacques Chirac à l'Elysée, trente et un gendarmes mobiles étaient affectés à cette tâche...
Un château en ruine
Au cœur de la Chiraquie profonde, le triste spectacle du manoir à l'abandon pourrait laisser croire que l'ancien président de la République, âgé de 78 ans, tire le diable par la queue. De la mousse recouvre presque complètement les ardoises du toit, la dizaine de pièces ne sont plus chauffées en hiver, provoquant des dégâts irrémédiables dans les murs de granit, la clôture en bois reste brisée en plusieurs endroits, des colonies de choucas jacassant sans cesse et de buses témoignent, dans des arbres moribonds et sous-bois touffus, d'un évident manque d'entretien.
Député de Corrèze durant vingt-cinq ans, Chirac y vient seulement une fois l'an, le temps d'une visite éclair, généralement fin juillet. Fatigué d'y être sollicité sans relâche, le retraité préfère séjourner, le week-end et pour les vacances, dans les résidences de son ami François Pinault à Dinard, aux Andelys et à Saint-Tropez, ou encore chez le roi du Maroc.
En fait, le château de Bity est aujourd'hui devenu le domaine de Bernadette, son épouse et conseillère générale du canton de Corrèze depuis 1979. La châtelaine de 77 ans n'y dort jamais en hiver, préférant le confort de l'hôtel Séniorie, situé à une dizaine de kilomètres. « Je ne veux pas faire exploser ma facture de fioul en chauffant le château », a-t-elle déclaré à la presse locale. Toujours par souci d'économie (mais accompagné d'un fonctionnaire chauffeur-garde du corps « prêté » par son mari), « Bernie » sillonne, en ce début mars 2011, les routes du canton de Corrèze à bord de sa 205 rouge (achetée en 1984), car elle se représente aux cantonales.
Un musée épinglé
Non seulement la République subvient légalement à presque toutes les autres dépenses du couple Chirac, mais aussi, en partie, le conseil général de Corrèze dirigé, depuis 2008, par le député PS François Hollande. Ainsi, dans un rapport de 2010, la chambre régionale des comptes du Limousin épingle le conseil général socialiste pour sa gestion du musée du Président Jacques Chirac. Inauguré en 2000 à Sarran, à deux pas du château de Bity, ce musée départemental a enregistré, en 2008, 200.000 € de recettes (62.000 visiteurs) pour 1,7 million d'euros de dépenses. Un vrai gouffre pour le conseil général de Corrèze. Cette année-là, il a coûté 30 € à chaque Corrézien.
L'ancienne majorité UMP du conseil général avait déjà englouti 16,7 millions d'euros dans la construction de ce musée, imaginé par la conseillère générale Bernadette Chirac. Cette même ancienne majorité avait voté un crédit de plusieurs centaines de milliers d'euros afin construire le cantonnement des gendarmes chargés de la protection du château de Bity sur un terrain acheté par la mairie de Sarran,
Privilèges monarchiques
Depuis 1967, date de son premier poste ministériel, et jusqu'en 2007, Jacques Chirac, Premier ministre, maire de Paris puis président de la République, et son épouse ont été nourris, logés et blanchis par le contribuable. Mais depuis son départ de l'Elysée, le 16 mai 2007, Chirac bénéficie encore de privilèges monarchiques (comme l'ex-président Valéry Giscard d'Estaing), légalisés en catimini par un statut mis en place, en 1983, par le président François Mitterrand en accord avec VGE. Curieusement, ces dispositions n'ont jamais fait l'objet de la moindre publicité au Journal officiel et le Parlement n'a pas été consulté à ce sujet. La définition de ces moyens a simplement fait l'objet d'une lettre officielle de quatre pages, signée en 1985 par le Premier ministre de l'époque, Laurent Fabius, et adressée à l'ancien président Giscard d'Estaing.
Première règle : la « République irréprochable » chère à Nicolas Sarkozy met à la disposition des anciens présidents de la République « un appartement de fonction meublé et équipé, dont la maintenance et les charges, y compris le téléphone, sont assumées par l'Etat ». Pour une fois, Jacques Chirac a pensé à ne pas gaspiller l'argent du contribuable : il préfère vivre depuis quatre ans chez un ami, au premier étage du 5, quai Voltaire, à Paris, dans un modeste huit-pièces de 391 m2 avec vue sur le musée du Louvre et la Seine. Sorte de palais national, cette suite royale est prêtée aux Chirac « provisoirement » par la famille de son grand ami Rafic Hariri, ancien Premier ministre du Liban assassiné en février 2005. A l'entresol, le propriétaire met à disposition un autre appartement de 31 m2, transformé en office pour une partie des treize fonctionnaires placés au service de l'ancien président. Leur coût (554.000 € par an de salaires bruts) vient donc s'ajouter aux 420.000 € versés pour les salaires et charges des six gendarmes du château de Bity.
Mais c'est oublier le bureau de Jacques Chirac, situé au 119, rue de Lille, près de l'Assemblée nationale. L'ex-président et ses proches collaborateurs y occupent en effet le deuxième étage d'un immeuble. Bien sûr, le loyer est payé par l'Etat.
974.000 € par an
19 fonctionnaires à son service
Un cabinet. Bertrand Landrieu, chef de cabinet de Jacques Chirac, touche 74.400 € bruts par an. Ses deux collaborateurs directs coûtent au total 96.000 €. Un fonctionnaire des Archives nationales « chargé de les aider à trier les papiers de l’ancien président » émarge à 36.000 €. Enfin, trois secrétaires « dactylographes » : 64.800 €.
Des chauffeurs. Six fonctionnaires sont détachés à l’appartement du 5, quai Voltaire : deux gardes du corps (143.600 €), deux chauffeurs (96.000 €) et deux personnels de service (43.200 €).
Des gendarmes. Six gendarmes mobiles en poste au château de Bity (420.000 €).
31.000 € bruts mensuels. En tant qu’ancien président de la République, maire de Paris, conseiller à la Cour des comptes et député de Corrèze, Jacques Chirac perçoit 19.000 € par mois de pensions cumulées. Membre de droit du Conseil constitutionnel, il touche aussi 12.000 € mensuels. En outre, selon nos estimations, il aurait touché 900.000 € avec le premier tome de ses Mémoires. Fin 2010, 450.000 exemplaires avaient été vendus
http://www.francesoir.fr/actualite/justice/chirac-retraite-indemnites-personnel-service-chateau-bureau-un-ex-president-tres-couteux-79471.html
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