Devant le juge, l’ancien Premier ministre a suivi les conseils de son ami Alexandre Djouhri
La promenade a eu lieu mercredi après-midi dans le jardin des Tuileries. Au milieu de la foule, mais loin de tout micro. A la veille de son audition par le juge Van Ruymbeke, Dominique de Villepin, dossier bleu sous le bras, s’est longuement entretenu avec Alexandre Djouhri, un homme d’affaires proche à la fois de l’ancien Premier ministre et de l’actuel président de la République (Lire sa biographie ci-contre). "Alexandre est le seul à parler aux deux… et à militer pour leur réconciliation", décode un proche de Djouhri.
Apparemment, il a été entendu. A la question du magistrat sur "des personnalités publiques françaises apparaissant dans les écoutes" comme bénéficiaires des commissions, le silence de Villepin a duré dix minutes. "Montre en main", précise Me Olivier Morice, l’avocat des familles de victimes de l’attentat de Karachi. "Les éléments qui m’ont été transmis ne mentionnaient pas de noms spécifiques", a finalement répondu l’ancien Premier ministre. "Je n’ai pas d’autres précisions quant à d’éventuels destinataires, personnalités publiques, hommes politiques…", a-t-il ensuite, selon nos sources, déclaré sur procès-verbal.
Dominique de Villepin (selon lequel l’attente était due à une panne de l’ordinateur de la greffière) s’en est finalement tenu à des généralités… Sous serment, il a réitéré ses soupçons de rétrocommissions et de "financement illicite" de "partis proches" d’Edouard Balladur pour la présidentielle de 1995, mais tout en martelant qu’il n’avait "aucune preuve formelle". "Il n’a jamais été question, à aucun moment, d’enquêter sur les financements politiques ou des personnes politiques", a-t-il ajouté, très en retrait avec ses déclarations précédentes. "M. de Villepin a été confronté à un conflit de loyauté : il sait qu’il est capable de mettre des noms de personnes mais ne veut pas mettre ces noms, de peur de mettre en difficulté son courant politique", réagit Me Morice. Une façon élégante de dire que l’ancien Premier ministre s’est arrêté à la porte de "l’irrémédiable".
Quatre explications possibles
1- Aucune preuve formelle
La question taraude tous les observateurs. Dominique de Villepin a-t-il ou non des preuves des versements de rétrocommissions? La plupart des sarkozystes estiment que, s’il en avait, elles seraient sorties depuis longtemps, notamment dans le cadre de l’affaire Clearstream, où Dominique de Villepin a cherché à démontrer que les soupçons sur des comptes occultes de Sarkozy étaient réels. Pas faux. Difficile donc, sans aucun élément tangible, d’accuser quiconque devant Van Ruymbeke. Villepin parle de "soupçons" ou de "fortes probabilités" et cultive les sous-entendus. A la barre du procès Clearstream, c’est ce qu’il avait déjà fait, évoquant même le "trésor de guerre" des sarkozystes et citant les voyages de Brice Hortefeux en Arabie saoudite, mais sans donner d’éléments précis. "Avant de chercher l’éventuel magot de Sarkozy, le camp Chirac avait cherché en vain pendant des années celui de Léotard", raille un proche de l’ancien ministre de la Défense…
2 - Des preuves inutilisables
Comment admettre qu’en 1996, l’Elysée de Jacques Chirac ait décidé de stopper des commissions de l’ordre de "200 millions d’euros" sans avoir la certitude qu’elles cachaient bien des rétrocommissions? A l’évidence, avant de prendre une telle décision, l’équipe Chirac-Villepin avait dû réunir des éléments "tangibles". La chronologie plaide dans ce sens. Entre juillet et octobre 1995, trois anciens du cabinet Léotard, en charge des négociations avec l’Arabie saoudite et le Pakistan pour les deux contrats de ventes d’armes signés en septembre et novembre 1994, sont secrètement placés sur écoutes. Puis en décembre 1995, Michel Mazens est nommé en remplacement du balladurien Jacques Douffiagues à la tête de la Sofresa, l’organisme public qui a été chargé de gérer les intermédiaires. "Trois mois après mon arrivée à la tête de la Sofresa, M. Millon m’a fait part d’un ordre du président de la République d’arrêter immédiatement les paiements et de détruire si possible les documents relatifs au réseau K du contrat Sawari II", a raconté Michel Mazens au juge Van Ruymbeke, le 18 novembre, dans un procès-verbal auquel le JDD a eu accès.
"J’entends par réseau K un réseau mis en place par M. Douffiagues… M. Takieddine était en première ligne." Devant le juge, Michel Mazens précise que "le président de la République a tenu lui-même à me faire part de son souci et de sa volonté d’arrêter, de stopper ce réseau". Puis qu’ensuite "M. de Villepin pilotait l’opération". Après trois mois d’écoutes téléphoniques, l’Elysée change le président de la Sofresa, puis exige en février 1996 l’arrêt complet des commissions.
Sans preuves? Difficile à admettre. D’ailleurs en juillet 1996, Jacques Chirac se rend en personne en Arabie saoudite pour un long tête-à-tête avec le prince Abdallah au cours duquel le président français, "documents en main", selon une source, aurait justifié sa décision… En un an, L’Elysée est donc parvenu à ses fins. "Ziad Takieddine avait menacé d’avoir recours à un arbitrage international… Il a fini par céder et l’affaire s’est conclue par la destruction des différents documents entreposés à Genève", s’est souvenu Michel Mazens devant Van Ruymbeke. "Pour arriver à cela, il fallait évidemment du solide", commente un haut fonctionnaire du renseignement. Mais à l’époque, pas question de saisir la justice. "Villepin est dans une situation bloquée, analyse cette source haut placée. Il ne peut pas parler sans preuves, mais il ne peut sortir ces preuves directement…"
3 - La négociation Clearstream
Entre Villepin et Sarkozy, le match Clearstream n’a jamais cessé. Le procès en appel de Dominique de Villepin, blanchi en première instance, a finalement été audiencé par la cour d’appel de Paris au mois d’avril prochain. Ce second procès à hauts risques, Villepin le doit… au procureur de Paris, qui a fait appel, avec le feu vert de l’Elysée. Or depuis quelques semaines, la position du parquet général, qui devra soutenir l’accusation lors du deuxième procès, reste insondable. Selon nos sources, de très discrètes discussions ont eu lieu jusqu’à l’Elysée, pour savoir si le parquet général allait ou non lâcher du lest en appel. "Si Villepin tire à boulets rouges aujourd’hui, il risque fort de se retrouver avec un parquet général violent en avril. Et il le sait bien", confie un avocat de l’affaire.
4 - Le risque du grand déballage
"Si Villepin détaille la liste de ceux qu’il soupçonne, on verra qu’il a ensuite travaillé avec certains d’entre eux dans son propre gouvernement…", raille un balladurien. Autre terrain glissant, le propre compte de campagne de Jacques Chirac en 1995! "Tout le monde sait qu’il était en dépassement du plafond autorisé", tempête un ancien ministre. Selon cette source, le secret de polichinelle qui entoure l’affaire est la provenance des 10 millions de francs en espèces sur le compte Balladur. "Cet argent provenait des fonds secrets de Matignon, mais Edouard Balladur ne le reconnaîtra jamais", regrette un de ses proches. "Jacques Chirac a été deux fois Premier ministre, et certains savent bien qu’en partant, il a vidé les fonds secrets. Même son ancien chauffeur a raconté qu’il avait rempli deux sacs de sport de billets en quittant Matignon", s’époumone un balladurien. A l’évidence, le camp Chirac non plus n’a guère intérêt à réveiller des enquêtes sur le financement de sa campagne de 1995.
http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Karachi-Les-raisons-du-silence-de-Villepin-236559
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