Le Canard Enchaîné révélait mercredi que Nicolas Sarkozy ferait espionner les journalistes qui enquêtent sur des affaires "sensibles". Mediapart enchérit jeudi, en affirmant notamment que deux de ses journalistes auraient été géolocalisés par les services secrets. Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, interrogé par leJDD.fr , dénonce un climat général d'entrave à la liberté de la presse.
Mediapart a fait plusieurs révélations sur l'espionnage des journalistes. Quelles sont-elles?
Outre le fait que les deux journalistes de Mediapart, enquêtant sur l'affaire Bettencourt, Fabrice Lhomme et Fabrice Arfi, aient été pistés par les services secrets, nous révélons que tout ce système d'espionnage est supervisé par Claude Guéant. C'est l'initiateur, celui qui impulse tout cela, qui donne les consignes. Courant septembre, l'une de nos sources, dans l'entourage d'un ministre important du gouvernement, nous avait déjà informés que des cambriolages auraient lieu dans les médias qui enquêtaient sur l'affaire Bettencourt. Par ailleurs, nos actionnaires extérieurs minoritaires ont été inquiétés, et le patrimoine privé de certains membres de notre équipe a fait l'objet de curiosité policière. Par exemple, on a cherché à savoir comment j'étais propriétaire de tel ou tel bien immobilier, et pas dans un cadre légal.
Pourquoi sortir toutes ces révélations maintenant?
On sait tout ça depuis plusieurs mois. Le site Mediapart fait l'objet d'un espionnage tous azimuts. Mais nous n'avions pas médiatisé nos renseignements parce que, même s'ils proviennent de sources fiables, ce sont des récits oraux, sans preuves. Nous pensions médiatiser ça le jour où on aurait une preuve confondante.
Donc vous avez cette preuve confondante? Ou est-ce parce que Le Canard Enchaîné a sorti des informations?
Le Canard Enchaîné a sorti une partie des informations. Nous n'avons pas de preuve confondante, mais aujourd'hui tout ça atteint un tel niveau, avec les cambriolages par exemple, qu'il fallait que ce soit public.
"Tout un système partisan, sous l'apparence de l'Etat"
Dans votre article, vous adressez une "demande solennelle" aux parlementaires pour qu'ils se saisissent de ce sujet. Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale (DGPN), sont entendus jeudi par la Délégation parlementaire du renseignement. Vous avez eu ce que vous demandiez?
C'est une audition, il faudrait que les parlementaires puissent aller au-delà. Un démenti oral ne suffit pas. Nos sources, on ne les invente pas.
Vous avez des mots très forts pour qualifier le climat actuel: "inquisition d'Etat", "naufrage de l'idéal républicain", …? Les autres présidents de la République français n'utilisaient-ils pas aussi les services de renseignements pour leur compte?
Sous François Mitterrand, il y avait un cabinet noir à l'écart des autres administrations. Nous avons pu révéler des manquements à l'Etat de droit par des informateurs, de ces autres administrations. C'est plus grave sous Nicolas Sarkozy. Depuis 2007, il a mis ses fidèles au cœur de l'administration policière et a créé un grand service de renseignements. Le patron de la police est un ami d'enfance du président, le patron du renseignement lui doit sa carrière. C'est un système qui n'est pas sain. Et sous Mitterrand, Jean-Louis Bianco (secrétaire général de l'Elysée à l'époque, ndlr) n'a jamais organisé de réunion du type de celle que Nicolas Sarkozy a organisée, sur "comment on va attaquer Mediapart". Enfin, Claude Guéant, ancien préfet, a été patron de la police nationale. Sous l'apparence de l'Etat, il y a tout un système partisan.
Votre tribune s'adresse directement à Nicolas Sarkozy. Vous avez l'impression d'être un des seuls porte-parole de la liberté de la presse?
Non, mais je suis étonné que tout cela soit considéré comme secondaire. Tout ce qui touche à la liberté de la presse, un droit des citoyens, devrait être un scandale national. Aux Etats-Unis ou en Angleterre ça le serait.
http://www.lejdd.fr/Medias/Internet/Actualite/Edwy-Plenel-denonce-l-espionnage-dont-Mediapart-est-victime-interview-231570
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