Les juges d'instruction Renaud Van Ruymbeke et Marc Trévidic, qui mettent le pouvoir en difficulté dans l'enquête sur l'attentat de Karachi, incarnent une fonction particulière au système judiciaire français, au moment où sa suppression est envisagée par le gouvernement.
Marc Trévidic a repris en 2007 au pôle antiterroriste ce dossier ouvert après l'attentat de 2002, qui a provoqué la mort de 11 ressortissants français, et il suit depuis 2008 la piste d'une possible vengeance de militaires pakistanais.
Après ses premières auditions et une plainte des familles des victimes, Renaud Van Ruymbeke s'est saisi cette année du volet de l'enquête sur la possible corruption liée à la vente de sous-marins au Pakistan, qui pourrait être à l'origine de l'attentat et constitue la toile de fond de cette affaire.
L'affaire est emblématique, pense Marc Trévidic, un jeune juge de 45 ans qui est aussi président de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI).
"C'est la réalité du terrain qui démontre la nécessité du juge d'instruction. Dans les affaires récentes, le statut du parquet fait qu'on ne peut pas compter sur lui", a-t-il dit à Reuters. A la différence du procureur, lié au pouvoir par son statut, le juge d'instruction est en effet indépendant.
DÉMÊLÉS AVEC SARKOZY
Renaud Van Ruymbeke, 58 ans, auteur avec plusieurs magistrats européens de "l'appel de Genève" à lutter contre la corruption internationale en 1996, s'est construit une réputation solide au fil de nombreuses enquêtes.
Il a mis au jour le financement occulte du Parti socialiste, décrypté les détournements de fonds à Elf et retrouvé le meurtrier de la petite Britannique Caroline Dickinson en 1996. Il a aussi instruit l'affaire visant l'ex-trader de la Société générale Jérôme Kerviel.
Passionné de football et de piano, juriste méticuleux et - fait peu fréquent - apprécié des avocats pénalistes, Renaud Van Ruymbeke n'est que peu enclin aux abus de placement en détention, souvent reprochés à certains de ses collègues.
Sans l'affaire Clearstream, cet auteur de traités théoriques qui font autorité sur la fonction de juge d'instruction aurait dû connaître une fin de carrière paisible à la cour d'appel de Paris, où il avait demandé sa mutation.
C'est lui qui a en effet reçu en 2004 les listings de cette société financière mettant en cause Nicolas Sarkozy, et qui se sont révélés être des faux. Il a déjoué la manipulation par une enquête fin 2005 mais le président lui tient rancune d'avoir vérifié les accusations de corruption à son encontre.
Frappé de poursuites disciplinaires, en suspens, qui bloquent sa carrière, le juge Van Ruymbeke vit cette situation comme une blessure personnelle.
MARATHONIEN
De son côté, Marc Trévidic a marqué le refus des juges d'instruction français d'accepter la suppression de leur fonction en relançant des affaires sensibles diplomatiquement.
Ce magistrat à la fine silhouette de marathonien a ouvert dans ces dossiers des pistes embarrassantes pour l'Etat français, soupçonné d'avoir connu des secrets sans les rendre publics pour protéger ses liens diplomatiques ou ses intérêts.
Réputé connaisseur des affaires depuis son passage à la section antiterroriste du parquet en 2000-2003, Marc Trévidic n'a fait qu'exploiter les pistes laissées en jachère par son prédécesseur Jean-Louis Bruguière, parti en 2006 briguer en vain un siège de député UMP.
Dans le dossier de l'attentat contre une synagogue parisienne de la rue Copernic, qui avait fait quatre morts en 1980, il a fait arrêter au Canada en novembre 2008 un enseignant en sociologie d'origine palestinienne, Hassan Diab.
Marc Trévidic a aussi relancé l'affaire de l'assassinat en 1996 de sept moines français en Algérie. La déposition d'un général français ouvre la piste d'une "bavure" de l'armée algérienne, scénario connu dès l'origine par la Défense et l'ambassade de France à Alger, mais caché, a dit le témoin.
Il tente aussi de résoudre le mystère de l'origine du génocide rwandais, en relançant l'enquête sur l'événement déclencheur, l'attentat qui a coûté la vie au président Juvénal Habyarimana en 1994 à Kigali.
Marc Trévidic a déjà donné rendez-vous aux dirigeants politiques français en 2011, pour "fêter avec (lui) le 200e anniversaire de la création du juge d'instruction par Napoléon".
http://www.lepoint.fr/fil-info-reuters/les-deux-juges-qui-inquietent-le-pouvoir-25-11-2010-1266969_240.php
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