« S’il vous plaît, ne me filmez pas, ne me photographiez pas tout de suite. » C’était en avril dernier, en Namibie, à l’occasion d’une visite à la mine d’uranium de Trekkopje. Assise à une table installée sur un balcon ombragé, Anne Lauvergeon demande aux journalistes de ranger leurs objectifs, de l’épargner pour quelques instants encore. Instruite des dommages que causent à la peau et aux traits du visage les longues heures passées en avion, cette grande voyageuse veille à son image. En dépit d’un emploi du temps infernal, la « princesse des atomes » tient à sa féminité. Jupe noire à pois blancs tombant au-dessus du genou, veste en cuir cintrée, lunettes noire de grand couturier : ce matin-là, du haut de ses escarpins, l’élégante patronne d’Areva, reçue en Afrique comme un chef d’Etat, contemple l’horizon une tasse de thé à la main. Mille cinq cents kilomètres de désert namibien s’étendent devant elle.
A 51 ans, Anne Lauvergeon n’a pourtant rien d’une gravure de mode. Elle est passée par l’Ecole normale supérieure (agrégée de sciences physiques) et le corps des mines, dont elle est ingénieur. En 1983, ses débuts professionnels se font chez Usinor, puis au Commissariat à l’énergie atomique. En 1990, elle est nommée chargée de mission pour l’économie internationale et le commerce extérieur à la présidence de la République, alors occupée par François Mitterrand. L’année suivante, elle en devient la secrétaire générale adjointe, avant d’être choisie comme « sherpa » par le chef de l’Etat, chargée de préparer pour lui les sommets internationaux auxquels il participe.
« Atomic Anne »
En 1999, après un bref passage à la banque franco-américaine Lazard et Frères, elle prend la direction du groupe Areva, né de la fusion de la Cogema et de Framatome, jusque-là les piliers du nucléaire français. Deux sociétés dont elle fera, en quelques années à peine, le premier producteur mondial d’uranium. Une carrière fulgurante, rectiligne (en dépit des jalousies qu’elle suscite), même pendant les années Chirac. « Quand je suis arrivée à la Cogema, on disait “il faut laisser tomber les mines”. Les Russes cassaient alors le marché en proposant un uranium pas cher », se souvient-elle. Mais, en 2004, le monde du nucléaire découvre que les stocks russes sont bien limités… Anne Lauvergeon, qui entre-temps s’est faite la championne du « système intégré », ou « stratégie Nespresso », à savoir la fourniture de réacteurs nucléaires (la cafetière) accompagnée de celle du minerai d’uranium (les capsules) qui permet de les faire fonctionner, devient, aux yeux du monde, « Atomic Anne ». Les projets miniers se multiplient : Arlit et Imouraren au Niger, Trekkopje en Namibie, Katco au Kazakhstan…
A Arlit, des gardes non armés
Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, en 2007, Nicolas Sarkozy fait plancher ses troupes sur la recomposition du nucléaire français. On dit alors que cette initiative est inspirée par Martin Bouygues, dont le groupe ne dissimule plus son appétit. Afin d’écarter courtoisement la grande dame (l’Etat détient 90 % des actions d’Areva), le président de la République lui propose d’entrer au gouvernement. Elle refuse. Il est en colère, énervé par cette femme qui ose lui résister dans un domaine qui lui est « constitutionnellement » réservé, un domaine par essence régalien.
Désigné, en 2009, par le chef de l’Etat à la tête d’EDF, Henri Proglio reprend l’offensive. Pour ce grand patron, nul doute que la filière nucléaire française doit se restructurer autour du groupe public que lui dirige et dont les centrales tournent, en partie, avec l’uranium acheté à Areva. Anne Lauvergeon, donnée un temps comme « partante », résiste une nouvelle fois aux pressions politiques et industrielles exercées sur elle. « EDF est un client très important pour nous, mais ce n’est pas le seul. Nous devons être neutres, nos clients (étrangers, comme la Chine, NDLR) attendent de nous une indépendance cloisonnée », estime-t-elle.
Aujourd’hui, l’enlèvement par al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) des sept expatriés, dont cinq Français, travaillant dans la mine d’Arlit fragilise le groupe Areva, dont les défaillances en matière de sécurité deviennent chaque jour plus évidentes. Anne Lauvergeon était-elle au courant de l’alerte donnée par les autorités nigériennes deux semaines avant que ne se produisent ces enlèvements ? Savait-elle qu’une action terroriste était considérée par ces dernières comme imminente ? Pouvait-on laisser des employés vivre à Arlit avec des gardes non armés pour protéger leur maison ? Nul doute que ses adversaires sauront, d’une façon ou d’une autre, lui poser ces questions.
http://www.francesoir.fr/etranger-politique/areva-anne-lauvergeon-dans-la-tourmente.27260
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