Le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a reçu le dossier Woerth. Il est parti de Versailles jeudi, sous pli fermé, par porteur spécial et par peur des fuites. Le volumineux dossier Woerth comprend une première synthèse du parquet de Nanterre, puis une deuxième synthèse du parquet général, accompagnée de plusieurs dizaines de procès-verbaux, y compris celui de l’ancien ministre du Budget. Tout est désormais sur le bureau du procureur général près la Cour de cassation. Le plus haut magistrat du parquet en France va devoir décider s’il transmet l’affaire Woerth à la Cour de justice de la République, l’organe en charge de juger les ministres pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions.
Selon nos informations, les synthèses écrites par les deux parquets ne "tranchent pas", mais reprennent point par point les différents soupçons pesant sur l’ancien ministre du Budget. "Le procureur général peut soit estimer qu’il y a déjà matière à saisir la commission des requêtes de la Cour de justice, soit estimer qu’il faut encore attendre la fin de l’enquête avant de se prononcer", confie une source judiciaire. Notamment la prochaine audition d’Eric Woerth.
Le procureur s’était plaint de fuites à "haut niveau"
Selon les deux synthèses, deux points sont en discussion: l’octroi de la Légion d‘honneur à Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et l’embauche de Florence Woerth par ce dernier. "Dans les deux cas, tout semble s’enclencher début 2007, quand Eric Woerth n’est encore pas ministre… puis se dénouer fin 2007 quand il l’est. Si infraction il y a, faut-il prendre en compte le moment où il est ministre, et saisir la Cour de justice, ou celui où il ne l’est pas, et laisser le dossier aux mains d’une juridiction ordinaire?" s’interroge un magistrat.
A Versailles, comme à Nanterre, l’affaire Woerth est désormais suivie avec un luxe de précautions depuis la mise à l’écart, à la suite d’une enquête des services secrets, de David Sénat, le conseiller pour les affaires pénales de Michèle Alliot-Marie. La recherche d’une "taupe" a été déclenchée fin juillet, après la publication, dans Le Monde d’extraits de procès-verbaux de Patrice de Maistre en garde à vue. "C’était une fuite très imprudente, quasiment en direct", résume un enquêteur. "Qu’il y ait des fuites, c’est normal et fréquent, mais celle-là était signée", explique-t-on à la Direction générale de la police nationale (DGPN).
Depuis quelque temps déjà, le procureur Courroye s’était plaint de fuites "précises" et à "haut niveau", et avait même, un temps, soupçonné la police. "Certains extraits de PV ne pouvaient venir que de la brigade financière, du parquet de Nanterre, du parquet général de Versailles, ou de deux personnes à la chancellerie, la directrice des affaires criminelles et des grâces, Maryvonne Caillibotte, ou David Sénat, le conseiller pénal du ministre", explique un enquêteur. Très proche collaborateur de MAM, qu’il suit depuis le ministère de la Défense, David Sénat s’intéressait de très près à l’affaire Woerth.
MAM prend ses distances
Selon nos sources, mi-juillet, le procureur général de Versailles avait même rédigé une note à la chancellerie réclamant une "pause" dans les demandes de communication de pièces et de procès-verbaux. "Le temps médiatique n’est pas le temps judiciaire, on était sans cesse en train de nous demander des synthèses ou des extraits de PV", ajoute un magistrat. Souvent prié de "scanner" les PV en urgence, et de les transférer par e-mail à la chancellerie, le parquet général était aussi sollicité au jour le jour pour rédiger des "synthèses" reprenant des extraits de procès-verbaux.
Une vérification téléphonique opérée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) (apparemment en dehors de tout cadre légal) sur le portable de David Sénat l’aurait confondu comme étant l’auteur de la fuite suspecte. Il devrait donc être entendu dans le cadre de l’affaire de violation du secret de l’instruction déclenchée par la plainte de Patrice de Maistre. A-t-il orchestré les fuites seul et en direct? Certains s’interrogent sur ses relations étroites avec Jean-François Gayraud, un ancien commissaire de la DST, que Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, avait sèchement mis à l’écart quand il a été nommé à la tête du service de contre-espionnage "Gayraud, qui l’a toujours nié, était soupçonné, dans l’affaire Clearstream, d’avoir fait disparaître un cahier contenant les preuves de rendez-vous secrets de Gergorin et Villepin", explique un ancien du service…
David Sénat devrait également être entendu par la police des polices dans le cadre d’une autre affaire, où il est soupçonné d’être intervenu auprès de MAM pour le compte de Visionex, une société nantaise soupçonnée d’avoir fabriqué des bornes Internet permettant des paris clandestins. De quoi embarrasser MAM, qui a aujourd’hui pris ses distances avec son conseiller. Selon la chancellerie, la mise à l’écart de David Sénat, "à sa demande", avait été décidée fin juin, avant ces soupçons. Une version officielle bien arrangeante.
http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/Le-dossier-Woerth-a-la-Cour-de-cassation-221049
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