dimanche 27 novembre 2011

Égypte : Tahrir se ressaisit

Elle est ravie, il est hagard. Zinet Suleiman et son mari ont hurlé avec la foule, brandi leurs poings, repris les chants les uns après les autres, tourné de cortège en cortège. À la tombée du jour, le couple fait une pause sur la terrasse d'un café de fortune installé sur la place Tahrir : une vingtaine de chaises en plastique et, dessus, une vingtaine de manifestants épuisés. Il ne faut pas se fier au voile sobre et au corps massif de la mère au foyer. Zinet est une révolutionnaire, une vraie. Elle était des premiers combats de Tahrir, fin janvier. Elle a fêté la chute de Moubarak avec quelques amis et un million d'Égyptiens le 11 février. "J'ai passé une super journée, ce vendredi est un vrai succès", dit-elle avec un sourire aussi large que son buste. Son enthousiasme pourrait réveiller un cours de théologie d'al-Azhar, cette grande université musulmane cairote : "On leur a montré, aux militaires, que le peuple était toujours là !"

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Zinet pourrait être élue manifestante du jour : ni activiste, ni islamiste, encore moins voyou désoeuvré, elle fait partie de ceux qui rejoignent Tahrir quand cette dernière se transforme en grande célébration populaire. Entre fête nationale, cortège chaotique qui tourne sans cesse - la place fait aussi la révolution au sens propre -, école de sensibilisation politique pour apprentis démocrates, Le Caire vibre à nouveau. Avec quelques fausses notes : aux abords de la place, les baltagueyyas, ces gros bras payés par le pouvoir, rôdent encore. Sur la place, des gamins provoquent et raillent, se bousculent, se bagarrent mollement. Ils fument des clopes trop grandes pour eux. En quelques mois, Tahrir a perdu un peu d'insouciance, mais tient bon, retrouve ses vieux réflexes : les comités populaires fouillent poliment les arrivants, les marchands ambulants assurent le couvert et vendent les couleurs de l'Égypte sous toutes leurs formes : drapeaux, chapeaux, badges, stickers.
Il fallait peut-être que les Égyptiens se retrouvent, tout simplement. Après les durs mois d'été, pendant lesquels les militaires ont affermi leur pouvoir, divisant la population, chrétiens contre musulmans, riches contre pauvres, intellos contre populeux. Après la violence de ces derniers jours, concentrée sur la rue Mohammed Mahmoud. "J'ai eu l'impression de revivre la révolution de février en accéléré", revit Dina, une jeune activiste. Les mêmes doutes, les mêmes épreuves, les mêmes espoirs, les mêmes mensonges, de l'armée cette fois-ci. Et quand les Égyptiens se retrouvent, on les entend. Forts. Hésitants en début de journée, les slogans trouvent rapidement leur rythme. "Dégage !", "Que tombe le gouvernement des militaires !", "Révolution, révolution, jusqu'à la victoire !" et "Ni Tantawi, ni Ganzouri !".

"Quelqu'un qui nous ressemble"

Le nouveau Premier ministre trouvé par le vieux maréchal ne fait pas du tout l'approbation de Tahrir. Il est, une fois de plus, identifié comme un reliquat de l'ère Moubarak. Zinet tonne. "Ils ont encore pris un vieux de 80 ans ! À cet âge, on peut à peine marcher ! Moi, ce que je veux, c'est quelqu'un de jeune, quelqu'un qui a trente ans, quarante ans ; ni un militaire ni un salafiste. Je veux dire, quelqu'un qui nous ressemble ! Même les Frères musulmans ne comprennent pas !" Les élections ont normalement lieu lundi, mais personne n'y pense vraiment. Si les manifestations sont contestées çà et là, tout le monde est fier que le peuple relève la tête. Zinet aussi. Elle glisse un clin d'oeil : "Nous, les Égyptiens, on est quand même des gens bien, non ?" Elle finit son thé, plantée sur sa chaise, solide comme une pyramide. Des gens bien, c'est possible - déterminés, sûrement.http://www.lepoint.fr/monde/egypte-tahrir-se-ressaisit-25-11-2011-1400706_24.php

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