lundi 17 janvier 2011

Affaire Ben Barka - Le juge admoneste Juppé

Quarante cinq ans plus tard, son spectre hante toujours la justice française. L'affaire Ben Barka, du nom de cet opposant marocain enlevé en plein Paris, le 30 octobre 1965, sans que son corps ne soit jamais réapparu, est loin d'avoir livré tous ses secrets. C'est la conviction de Bachir Ben Barka, le fils aîné de l'ex-précepteur du jeune Hassan II et de Me Maurice Buttin, son avocat désigné presque aussitôt le rapt commis en plein Saint-Germain-des-Près et dont il publie un récit très détaillé.*






La controverse, muée en un véritable bras de fer institutionnel (Lire encadré ci-dessous), est d'autant plus vive que la famille Ben Barka et son conseil dénoncent le peu d'entrain que montrent, selon eux, les autorités françaises dans un dossier impliquant des anciens du SDECE, des barbouzes et de défunts truands manipulés par les services marocains alors soucieux de neutraliser un opposant à la notoriété montante. Le sentiment de la partie civile semble d'autant plus pertinent que Patrick Ramaël, le juge d'instruction chargé d'instruire cet épineux dossier, tente non sans mal de faire la lumière sur l'une des plus persistantes énigmes d'après décolonisation sur fond de raison d'Etat(s).






Pour preuve ? Plusieurs de ses actes d'instruction se heurtent à « l'obstruction caractérisée » de l'administration. « Mon client a l'impression que les autorités jouent la montre », résume, un brin agacé, Me Buttin. Dernier épisode en date : un courrier équivoque, sinon ambiguë, du ministre de la Défense, Alain Juppé, adressé au juge Ramaël. Datée du 15 décembre 2010, la lettre, entre les mains du magistrat depuis une semaine et que France-Soir a pu consulter, l'assure de son entière coopération quant à la déclassification de plusieurs pièces visées, cet été, lorsque le magistrat avait - fait inédit - perquisitionné les locaux de la DGSE, les 29 juillet et 3 août 2010, pour son enquête. « Je vous précise que le ministre d'Etat (…) a suivi en tous points l'avis rendu à cette date par la commission consultative du secret de la défense nationale », écrit, sibyllin, le ministère.


« Entraves à la vérité »
En clair, dans la foulée de Hervé Morin, son prédécesseur, le maire de Bordeaux dit s'être conformé aux recommandations de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) présidée par Jacques Belle. Or, contrairement à cette réponse ministérielle dont nous faisons état, aucun des documents sollicités, incluant les profils de plusieurs individus proches des services de renseignement tricolores, n'est, à ce jour, parvenu au juge. Les termes du juge Ramaël, employés dans sa missive du 24 novembre 2010, dont France-Soir a pris connaissance, demeurent sans effet. Déjà, le magistrat s'y « étonne des affirmations » du ministère car elles ne « correspondent pas à la réalité. » Et pour cause. Plusieurs pièces présentées comme déclassifiées lui ont été expédiées sous forme de pages blanches barrées d'un large trait vertical noir et frappées de la mention : « non déclassifié par décision du ministre de la Défense N°... »






Au total, des dizaines de scellés promis par Hervé Morin et son successeur, examinés par la CCSDN, ont été vidés de leur contenu au motif qu'ils n'ont rien à voir avec le dossier Ben Barka. « Si je peux comprendre que certains documents saisis aient été jugés non pertinents dans certains scellés où un grand nombre de pages étaient saisies, je m'étonne que les scellés sus-mentionnés soient, contrairement à ce que l'avis de la commission et la lettre de votre prédécesseur donnent à penser, intégralement non-déclassifiés », déplore le juge Ramaël à l'attention du ministre de la Défense. On ne peut plus explicite, il fustige « des pièces communiquées (qui) ne sont pas en rapport avec les attentes légitimes d'un juge d'instruction » et s'« interroge sur de possibles entraves à la manifestation de la vérité peu compréhensibles compte tenu du temps écoulé. »


« Grosse ficelle »
Excédé par ce dialogue de sourds, le conseil de Bachir Ben Barka fustige la lenteur de la procédure et soupçonne une volonté déguisée de vouloir freiner l'instruction. « Pourquoi nous donner des documents non-déclassifiés et qui ne concernent pas l'affaire Ben Barka ?! S'ils n'ont vraiment rien à voir avec le dossier, qu'on nous les verse pour crever l'abcès », fulmine Me Buttin, soumis, tout comme le juge, à un énième examen de la CCSDN pourtant favorable aux précédentes requêtes du magistrat. « Je ne peux en tout cas pas croire que dans les éléments retenus, cet été, lors de la perquisition du juge, aucun ne soit en rapport avec des anciens du SDECE impliqués dans l'enlèvement de Mehdi Ben Barka. » Dénonçant « une grosse ficelle », l'avocat cite une promesse de l'hôte de l'Elysée qu'il prolonge d'une patte toute personnelle. « Lorsque Nicolas Sarkozy déclare partout sa volonté de transparence dans cette affaire, je réponds qu'elle est, hélas, totale par son...vide. »






*Hassan II, De Gaulle, Ben Barka : ce que je sais d'eux, Maurice Buttin, Ed. Karthala










Un journaliste sur écoute ?
La justice enquête désormais sur des écoutes téléphoniques illégales présumées visant Jospeh Tual, un journaliste de France 3 familier du dossier Ben Barka. Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire en ce sens confiée à la juge Isabelle Couzy. Joseph Tual est convaincu d'avoir été victime d'une écoute téléphonique sauvage, en novembre 2007, lorsqu'il découvre dans Maroc Hebdo, un journal marocain, la retranscription d'une conversation enregistrée à son insu et « tronquée » tenue avec Miloud Tounzi, alias Larbi Chtouki, l'un des supposés membres du commando ayant pris part au rapt de l'opposant à la monarchie chérifienne. L'échange téléphonique se déroule, en octobre 2007, au lendemain de la signature par le juge Ramaël de cinq mandats d'arrêt internationaux visant notamment Miloud Tounzi. Pour Me Fabienne Delecroix, l'avocate de M. Tual, la retranscription provient soit d'un enregistrement illégal effectué par M. Tounzi, soit d'une écoute téléphonique pirate constituant, dans un cas comme dans l'autre, une « atteinte au secret des correspondances »
http://www.francesoir.fr/actualite/politique/affaire-ben-barka-juge-admoneste-juppe-64559.html

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