mercredi 27 octobre 2010

AFFAIRE BANIER - Une lettre à 262 millions

C'est l'un des mystères les plus troublants de l'affaire Bettencourt. Dans quelles circonstances la milliardaire a-t-elle cédé, en 2006, un contrat d'assurance-vie d'une valeur de 262 millions d'euros au photographe François-Marie Banier ? Les documents retrouvés par la brigade financière - et versés au dossier instruit par la juge Isabelle Prévost-Desprez - accréditent l'hypothèse d'une manoeuvre accomplie au préjudice de la vieille dame sans qu'elle en ait eu conscience.


Le 14 septembre 2006, la société Arcalis, filiale du groupe Allianz, recevait une lettre signée par Liliane Bettencourt. L'objet de ce courrier : modifier une clause essentielle d'un contrat souscrit par l'héritière de L'Oréal en 1992. Jusqu'à cette date, il était en effet prévu que les fonds seraient attribués, après le décès de la vieille dame, selon des instructions laissées à son notaire. Désormais, la missive indique qu'elle "désigne nommément François-Marie Banier ou, à défaut, l'Institut Pasteur".


Précipitation




Le même jour, le photographe écrivait, lui aussi, à la compagnie pour accepter officiellement cette cession - ce qui avait pour conséquence immédiate d'empêcher tout revirement ultérieur de la donatrice. Or, l'examen des deux courriers révèle de troublantes similitudes de mise en page. Surtout, les enveloppes dans lesquelles ils furent expédiés ont été libellées de la même main (voir document) : celle de... la secrétaire de Banier.




Questionnée par les policiers le 20 septembre, l'assistante a reconnu sans faux-fuyant son écriture : "C'est moi, c'est sûr ", a-t-elle déclaré. Avant d'expliquer que la milliardaire " n'avait pas confiance" dans sa propre secrétaire, de sorte qu'elle lui aurait demandé à elle, " directement ou indirectement", de taper les deux courriers - sans préciser ce qu'elle entendait par " indirectement ".


Faute d'orthographe


" Vous souvenez-vous dans quelles conditions Liliane Bettencourt a signé cette lettre ?" ont demandé les enquêteurs. Réponse de l'assistante : "Si mes souvenirs sont bons, M. Banier a été déjeuner le 14 septembre 2006 chez Mme Bettencourt et c'est au cours de ce déjeuner qu'elle a signé cette lettre." Il faut donc comprendre qu'elle fut expédiée l'après-midi même à la compagnie d'assurances - de même que le courrier d'acceptation de M. Banier. Sollicité par Le Point le 15 octobre, ce dernier n'a pas répondu.


Pareille précipitation jure avec les proclamations désintéressées du photographe ; depuis le début de l'enquête, celui-ci a toujours affirmé, en effet, qu'il n'avait accepté ces donations faramineuses (près de 1 milliard d'euros au total) que sur l'insistance obstinée de sa bienfaitrice... Or, Mme Bettencourt a fini par assurer l'inverse (dans Paris Match du 30 septembre) : "C'est quelqu'un qui en veut toujours plus, toujours plus gros..." "Si on m'abuse, c'est que je me laisse abuser, tant mieux pour moi..." ajoutait-elle le 25 octobre (Europe 1).


Un détail retient particulièrement l'attention : sur la lettre rédigée au nom de la milliardaire, ce fameux 14 septembre 2006, son nom comporte une faute d'orthographe : Bettencourt est écrit avec un seul " t" ! La milliardaire a-t-elle pu avaliser un don aussi colossal sans le remarquer ? "Je suppose qu'elle a lu le texte et n'a pas vu la faute de frappe que j'avais faite", a plaidé la secrétaire de Banier.


Hypothèses troublantes


Une autre explication est possible. À la date des deux courriers, la vieille dame est en convalescence : elle a été hospitalisée durant quatre jours, début septembre 2006, à la suite de malaises et d'absences. "Toutes les personnes entendues dans le cadre de cette enquête ont constaté qu'elle se trouvait alors dans un état physique délicat, caractérisé par une désorientation spatio-temporelle, des pertes de mémoire, un état confus et des troubles du comportement", écrivaient les policiers dans un rapport de synthèse daté de 2008. On peut donc supposer qu'elle n'était peut-être pas totalement lucide à l'instant de ratifier le transfert du contrat. Dans une autre note policière figure aussi cette hypothèse intrigante : la signature de Mme Bettencourt aurait-elle pu être " scannée" et ensuite reproduite par montage sur le courrier suspect ?




Un autre élément accrédite le scénario d'une opération trouble : la lettre que l'on fit signer à Liliane Bettencourt se termine sur cette consigne : " Pour des raisons de confidentialité, j'insiste pour que tout le courrier concernant ce contrat d'assurance-vie soit envoyé à mon nom sous couvert de Me Normand [son notaire] et en aucun cas à mon adresse à Neuilly." Pourquoi et à qui fallait-il cacher ces dispositions ? " Je ne sais plus qui m'a dicté ce paragraphe spécifique ni si j'ai fait cela à partir d'un brouillon qui m'aurait été donné par M. Banier ", a indiqué, confuse, la secrétaire. Vraiment ?
http://www.lepoint.fr/societe/affaire-banier-une-lettre-a-262-millions-27-10-2010-1254961_23.php

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