samedi 30 avril 2011

Marrakech: "Pourquoi ont-ils fait ça?"

Au départ, ce ne devait être que des vacances entre filles, pour fêter l’anniversaire des deux petites-cousines. En cadeau, leurs grandes-tantes leur avaient offert ce beau voyage jusqu’à Marrakech. Histoire d’en profiter vraiment, jeudi matin, les deux jeunes femmes de 18 et 20 ans, et l’une de leurs trois chaperons avaient décidé d’aller boire un verre à l’Argana pour contempler la vue que l’établissement offre sur la place Jamâa el-Fna. Puis est survenue l’explosion. "Nous devions les rejoindre dix minutes plus tard, seulement dix minutes, soupire l’une des tantes aussi épuisée que bouleversée. C’est horrible, ce qui s’est passé." Leur journée de vendredi, les deux grandes-tantes l’ont passée à chercher leurs parentes dans Marrakech. Elles ont ainsi fait un détour par la morgue: "N’ayant aucune nouvelle, j’étais obligée d’y aller, lâche l’une d’elles. C’est terrible. Les corps alignés sont dans le même état que lorsqu’ils sont entrés." Parmi eux, il y avait celui de leur cousine de 60 ans originaire d’Alençon .
Les deux jeunes filles ont été transférées dans deux hôpitaux de la ville. La cadette est décédée tard hier soir. La deuxième a été admise au CHU Mohammed-VI. C’est dans cet hôpital civil situé dans la ville nouvelle, à une dizaine de minutes des lieux du drame, que les principales victimes de l’attentat, qui a fait 16 morts, dont sept Français, et 22 blessés ont été amenées jeudi. Les cas les plus lourds ont été transférés au service de réanimation des urgences. Amputations, membres écrasés, brûlures, corps transpercés de clous, lésions importantes à la face… La description des blessures faite par le Dr Nejmi, chef du service, est un petit glossaire de l’indicible. Parmi les patients, les membres de la famille Dewailly, des Français venus du Nord. Le père, la mère, leurs trois enfants de 10, 13 et 16 ans, ainsi qu’une tante, était présents dans le café lors de l’attentat. Le père était hier entre la vie et la mort. L’un des membres de la famille a été amputé d’un membre inférieur. La fillette de 10 ans est décédée.

Des récits de vies fracassées

À côté de ces blessés français, se trouvent des Marocains mais aussi une Néerlandaise, venue faire une semaine de vélo au Maroc avec 17 compatriotes. Ineke et Myriam sont venues lui rendre visite. Après plus d’une heure d’attente, elles finissent par accéder à sa chambre. Ineke racontera ensuite: "Elles nous a dit qu’elle était heureuse d’être vivante, qu’elle allait se battre et qu’elle espérait revoir son compagnon qui a été transféré dans un autre hôpital de la ville. Elle a été formidablement courageuse." La jeune femme a été amputée des deux jambes.
Ceux qui n’ont pas réchappé à l’explosion ont été rassemblés à la morgue municipale, petit bâtiment aux murs ocres, dont l’entrée est gardée par une demi-douzaine de policiers. Y défilent ambulances et camionnettes de la police scientifique, mais aussi des familles endeuillées, principalement marocaines. Moustapha Bouzidi, arrivé de Bordeaux jeudi soir, a perdu son petit frère dans l’attentat. Yacine avait 32 ans, il était l’un des serveurs du café. "Il avait commencé ce travail il y a six mois, explique son aîné, tout en émotion contenue. Son patron était content de lui et il allait l’embaucher. Yacine, c’était quelqu’un de bien, de calme, de très croyant. Sa femme est enceinte. Il avait aussi une fille de 7 ans. Qu’est-ce que vous voulez que je ressente après ça? De la haine, de l’injustice."
Ces récits de vies fracassées appartiennent désormais à l’histoire de Marrakech, qui recevra aujourd’hui la visite du roi Mohammed VI, après s’être longtemps crue à l’écart du terrorisme. C’est à Casablanca, notamment en 2003, que les attentats les plus sanglants du Maroc se sont produits. Tous répètent que jamais ils n’auraient imaginé qu’une telle chose puisse se produire dans leur ville et surtout pas place Jamâa el-Fna, l’une des plus surveillée du pays. Aujourd’hui, que va-t-il advenir de ce haut lieu du tourisme marocain, qui voit passer une bonne partie des 9 millions d’étrangers qui visitent le pays chaque année?

"On est tous effrayés"

Déjà, comme pour conjurer le sort, la place Jamâa el-Fna avait dès hier matin repris des allures troublantes de normalité. Comme si de rien n’était, les marchands de jus d’orange avaient garni leurs étals, les calèches s’étaient à nouveau sagement alignées à l’entrée de l’esplanade. Et les touristes continuaient à défiler. Difficile tout de même lorsque l’on accède sur la place de ne pas voir le ventre déchiré du restaurant, de nier que la ville est aujourd’hui traumatisée. "Bien sûr que l’on a tous peur. Même les gens chez eux, ils n’ont pas dormi de la nuit. Qui nous dit qu’ils vont pas remettre ça?" , se demande Sofiane, 46 ans, venu à mobylette sur la place. "On est tous effrayés , s’inquiète quant à elle Radija, hôtelière, propriétaire d’un riad dans la médina. Tout le monde soupçonne tout le monde. Et chacun se pose la même question: pourquoi ont-ils fait ça?"

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