dimanche 21 novembre 2010

La fille d'une victime : «Les déclarations de Sarkozy sonnent comme un aveu»

Il y a quelques mois, l’affaire de Karachi n’était qu’« une fable » pour Nicolas Sarkozy. Après les déclarations de Dominique de Villepin vendredi accréditant le versement de commissions, le président est sorti hier de sa réserve. Il en fallait plus pour satisfaire les familles de victimes, qui ont clairement décidé, dans cette affaire, de croiser le fer avec l’Elysée.


Dans un livre qui vient de paraître*, deux filles de salariés décédés le 8 mai 2002, Magali Drouet et Sandrine Leclerc, racontent la pression incessante des autorités, et ces petites mesquineries ou ces gros mensonges qui n’ont fait que renforcer leur détermination au fil de huit ans de combat pour la vérité. Entretien avec Magali Drouet.


Que vous inspirent les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy ?
Magali Drouet. Cela sonne comme un aveu. Il reconnaît qu’il existe des documents intéressant l’instruction qui n’ont pas encore été transmis. En expliquant qu’il les donnerait « en temps et en heure », il ignore cette séparation des pouvoirs qu’il nous opposait avant pour ne pas s’exprimer sur le dossier. Mais il ne s’agit pas d’un remaniement ministériel. Ce n’est pas à lui de décider. Nous exigeons qu’ils transmettent ces documents le plus tôt possible.


Avez-vous encore confiance dans les autorités françaises ?
Non. Le divorce est consommé. Si nos dirigeants avaient été plus malins et plus respectueux, nous n’aurions pas développé le caractère que nous avons aujourd’hui. Ils nous ont méprisées, et ils sont tombés sur deux petites pestes qui ne lâcheront rien. Karachi a été pour nous comme une école de la vie. Ce combat, c’est le dernier cadeau que l’on puisse faire à nos pères et à nos mères.


Dominique de Villepin se dit prêt à parler, et un haut fonctionnaire a reconnu qu’il y avait danger pour les salariés de la DCN…
On sent comme de la panique au plus haut niveau de l’Etat, et on ne peut que se réjouir que M. de Villepin sollicite une audition du juge (NDLR : les familles, par la voix de leur avocat, ont fait savoir hier soir qu’elles allaient sursoir à leur plainte contre Dominique de Villepin, dont elles ont accueilli « très favorablement les déclarations »). Quant aux déclarations de Michel Mazens, elles confirment le risque que couraient les salariés de la Direction des constructions navales (DCN). Il n’aurait jamais dû y avoir arrêt du versement des commissions alors que les employés de la DCN travaillaient toujours sur place au Pakistan. Nos pères ne sont pas morts « pour la France », mais « à cause de la France »…


Le livre que vous venez de publier a des allures de réquisitoire contre la DCN ?
Non, c’est juste un constat. Je raconte par exemple que c’est moi qui ai dû annoncer la mort de mon père à ma mère, ou comment la DCN a poussé pour la faire interner, et nous faire placer mes sœurs et moi. Elle a aussi volé le disque dur de l’ordinateur personnel de mon père. La DCN a tout fait pour nous « mettre sous cloche » et diviser les familles pour éviter que nous ne parlions. A l’époque, la justice n’était pas en reste. Le juge Bruguière, alors en charge du dossier, nous prenait de haut. Ce n’est qu’en 2008 que tout s’est accéléré. Grâce à notre avocat, Me Olivier Morice, et grâce au juge Trévidic qui a repris l’affaire. Ça a été la lumière au bout du tunnel.


Pensez-vous que votre combat puisse aboutir ?
Ce dossier est tentaculaire. L’affaire de l’attentat de Karachi, c’est une poupée gigogne, un mélanome. Dès que l’on tire sur un fil, il y a quelque chose derrière, d’autres ventes d’armes ou des financements politiques.


* On nous appelle « les Karachi », de Magali Drouet et Sandrine Leclerc, Fleuve Noir, 250 p., 17,5 €
http://www.leparisien.fr/faits-divers/la-fille-d-une-victime-les-declarations-de-sarkozy-sonnent-comme-un-aveu-21-11-2010-1159295.php

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