mardi 14 septembre 2010

Affaire Bettencourt - L'incroyable guerre des deux magistrats

Ils sont nés la même année (1959), l’une à Lille, l’autre à Lyon, et sont tous deux magistrats réputés du palais de justice de Nanterre (Hauts-de-Seine), mais c’est désormais tout ce qui les unit. Anciens complices au prestigieux pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, où ils ont instruit en tandem l’épineux dossier de l’Angolagate, Isabelle Prévost-Desprez, désormais présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel, et Philippe Courroye, aujourd’hui procureur de la République, sont désormais rivaux. Concurrents dans une course judiciaire dont le vainqueur, si l’on peut dire, sera désigné cet après-midi par la cour d’appel de Versailles (Yvelines).

Depuis le 13 juillet, date à laquelle le procureur a trébuché sur un premier obstacle – les juges versaillais ont rejeté sa demande visant à annuler la contre-enquête de Mme Prévost-Desprez –, les deux magistrats ont, jusqu’ici, redoublé de vitesse dans leurs investigations parallèles. Deux enquêtes pour une même – et non des moindres – affaire, celle déclenchée au début de l’été par la découverte des enregistrements clandestins de l’ancien majordome de Liliane Bettencourt, héritière de L’Oréal et femme la plus riche de France.

Un simple étui de tissu
Rappelons qu’un an durant, entre mai 2009 et mai 2010, Pascal Bonnefoy avait espionné sa patronne lorsque celle-ci recevait des visiteurs dans le bureau de feu son mari André, au premier étage de leur hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine. De son petit magnétophone dissimulé par un simple étui de tissu parmi les objets de la pièce, l’employé a tiré vingt et une heures de conversations secrètes. Selon Françoise Bettencourt-Meyers, ces écoutes en disent long sur l’état de vulnérabilité de sa mère, âgée de 87 ans, qu’elle soupçonne d’être largement spoliée, notamment par son vieil ami l’artiste François-Marie Banier, à qui elle a déjà donné l’équivalent de 1 milliard d’euros.

Judiciairement parlant, les enregistrements pirates, remis à la police par Françoise Bettencourt-Meyers avant d’être divulgués par le site Mediapart et l’hebdomadaire Le Point, sont tombés dans l’escarcelle de Philippe Courroye. C’est normal, dans un premier temps. En tant que procureur de Nanterre, il a diligenté une enquête préliminaire relative à l’authenticité des écoutes, à leur contenu et aux infractions qu’elles pourraient suggérer. Outre des soupçons de fraude fiscale, les bandes font apparaître des liens entre l’héritière de L’Oréal, son proche conseiller, Patrice de Maistre, l’actuel ministre du Travail – et, jusqu’à la mi-juillet, trésorier de l’UMP –, Eric Woerth, et son épouse, Florence, ex-employée d’une société gérant la fortune Bettencourt.

« Poisons mortels »
Judiciairement parlant, toujours, c’est là que ça se corse et qu’Isabelle Prévost-Desprez entre en scène. C’est normal, également. Présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, chargée des affaires financières, la magistrate est alors sur le point de juger François-Marie Banier pour « abus de faiblesse », à la suite d’une citation directe de la fille de Liliane Bettencourt. Autant dire que les enregistrements clandestins l’intéresse au plus haut point, puisqu’ils suggèrent l’éventuelle vulnérabilité de Liliane Bettencourt. Le 1er juillet, coup de théâtre : alors que le procès doit s’ouvrir, le tribunal le renvoie sine die et confie à sa présidente un supplément d’information sur lesdites écoutes. Autant dire une enquête parallèle à celle menée par le procureur. Qui n’apprécie pas, et tente de s’y opposer le jour même. La cour d’appel de Versailles balaie ses arguments le 13 juillet, ce qui autorise Isabelle Prévost-Desprez à poursuivre ses investigations malgré le refus du procureur de lui transmettre la transcription – diffusée dans la presse – des enregistrements.

Me Georges Kiejman, fidèle avocat de la milliardaire – il apparaît également dans les écoutes du majordome –, intervient alors : il dépose un recours visant à stopper l’enquête de la juge qui, à l’instar du procureur Courroye, ne se prive pas d’additionner, en un temps record, auditions de témoins et perquisitions. C’est sur cette demande que les magistrats versaillais doivent aujourd’hui statuer. C’est peu dire qu’au tribunal de grande instance de Nanterre, où le président Jean-Michel Hayat a lui-même exhorté début septembre à un « retour au calme » – « Nos divisions sont des poisons mortels aux effets dévastateurs dans l’opinion » –, leur décision est attendue.
http://www.francesoir.fr/faits-divers-politique/affaire-bettencourt-lincroyable-guerre-des-deux-magistrats.22165

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