vendredi 25 juin 2010

Un condamné à mort noir a-t-il droit à un nouveau procès ?

Il existe peu de photographies de Troy Davis. La plus emblématique est celle-ci : un cliché de mauvaise qualité montrant un jeune homme noir qui, derrière ses lunettes, fixe l'objectif. C'est cette photographie, datant de plusieurs années déjà, qui illustre les appels d'associations, dont Amnesty International, réclamant la réouverture de son procès. A 41 ans, il a passé près d'une vingtaine d'années dans le couloir de la mort en Georgie. Sept des neuf témoins qui l'accusaient à l'origine se sont depuis rétractés. Mais jamais les cours d'appel n'ont accepté de rouvrir le dossier. Le cas Troy Davis est devenu un symbole des associations militant contre la peine de mort, non seulement aux Etats-Unis, mais bien au-delà des frontières américaines.
Les deux jours d'audience qui se sont tenus cette semaine sont en soi une victoire : la Cour suprême des Etats-Unis, une première, a accepté que le condamné présente des preuves de son innocence devant un tribunal. Mais, coupable ou innocent, Troy Davis risque d'attendre encore longtemps la fin de son calvaire judiciaire. Les témoignages qui le disculpent, enfin exposés devant une cour, ne sont pas suffisants pour que la justice américaine rouvre le dossier. Le juge William Moore a donné aux deux parties (d'un côté : la défense de Troy Davis ; de l'autre, l'Etat de Georgie) jusqu'au 7 juillet pour présenter tous leurs arguments. Après les auditions, tout va donc se jouer en silence dans des dossiers de juristes. Qu'adviendra-t-il ensuite ? Du fait même du caractère inédit d'une telle audience, nul ne le sait précisément. Le juge pourrait décider que les preuves présentées par la défense de Davis ne sont pas de nature à faire peser un doute sur sa culpabilité, auquel cas une quatrième date d'exécution serait arrêtée. Il pourrait au contraire être ébranlé. Il s'est engagé à fournir "rapidement" ses conclusions à la Cour suprême, mais même si elles étaient favorables à Davis, personne ne peut dire quand et dans quelles conditions un nouveau procès pourrait être organisé.

Une enquête bâclée

Au fil des années passées dans le couloir de la mort, Troy Davis a déjà échappé trois fois, d'extrême justesse, à l'exécution. La première fois, le 16 juillet 2007, c'est à la veille de sa mort programmée que son recours en grâce avait été entendu. La deuxième fois - un peu plus d'un an plus tard - alors même qu'un nouvel appel avait été déposé devant la Cour suprême, sa nouvelle date d'exécution avait été fixée au 23 septembre par le procureur de district... en pleine période de congé des juges, qui ne devaient faire leur rentrée qu'en octobre. Il avait fallu que l'un d'eux, malgré ses vacances, réclame la suspension provisoire de l'exécution, à deux heures de l'horaire fatidique. Sursis de brève échéance puisque, la Cour suprême ayant refusé d'entendre l'affaire, une nouvelle date était fixée au 27 octobre... puis suspendue par une décision d'une cour d'appel rendue le 24 octobre.

Aujourd'hui, le condamné ne court plus le risque d'être exécuté entre deux appels : le procureur de district qui avait fixé la date de sa mort en pleines vacances de la Cour suprême - celui-là même qui était en charge de l'enquête où il était présenté comme le seul suspect du meurtre - a pris sa retraite. Et son successeur s'est engagé à ne pas fixer de nouvelle date d'exécution avant que la Cour suprême se soit prononcée.

L'acharnement des autorités judiciaires locales à obtenir la mort de Troy Davis n'en reste pas moins l'un des aspects les plus marquants de l'affaire - tout comme la précipitation de la police à réunir des preuves à son encontre. Preuves qui manquent encore cruellement aujourd'hui. Lorsqu'il a été condamné en 1991, c'est uniquement sur la foi de témoignages. L'arme du crime dont il était accusé - le meurtre d'un policier blanc, Mark Allen MacPhail, commis à Savannah lors de l'agression d'un SDF pour de la bière - n'a jamais été retrouvée, et aucune trace d'ADN, aucun autre élément matériel n'a permis de l'incriminer. "La logique qui a prévalu à l'époque", raconte Nicolas Krameyer, d'Amnesty France, qui a fait le déplacement en Georgie pour suivre les auditions, "était celle de trouver un coupable le plus vite possible, face à un crime abject, pour lequel la police locale était sur les dents". La soeur de Troy Davis, qui milite elle-même depuis des années au sein d'Amnesty, évoque encore plus directement "un pur dossier Noir contre Blancs". Et elle se souvient : "Si vous étiez un homme noir entre 15 et 40 ans à l'époque, il ne faisait pas bon traîner dans les rues".

Pressions policières et vengeance

Deux jours durant, les audiences se sont tenues devant la Cour fédérale de district de Savannah, et quatre des témoins cités ont pu réaffirmer, devant un tribunal cette fois, qu'ils avaient menti en accusant Troy Davis. Pour deux d'entre eux, il s'agissait de pressions policières. Darell Colins, par exemple, avait 16 ans à l'époque des faits : il a vu débarquer chez lui des policiers en armes qui l'ont emmené manu militari au poste où il a été interrogé pendant des heures sur ce qu'il avait vu le soir du meurtre. Des heures durant, il a répété qu'il n'avait pas vu l'auteur du tir mortel, avant de céder face à des enquêteurs qui le menaçaient de poursuites pour complicité. Un autre témoin, Antoine Williams, avait dû apposer sa signature sur une déclaration accusant Davis, alors qu'il était illettré. Egalement cité, Kevin Mac Queen a avoué avoir agi par vengeance...

Ces témoignages étaient déjà connus. La surprise à l'audience a été la déclaration faite par un proche du principal témoin à charge, Sylvester Coles. Coles était l'homme qui avait fourni la description la plus détaillée du meurtre du policier MacPhail. Il était présent sur les lieux de l'agression. Mais bizarrement, il n'a jamais été considéré comme un suspect dans cette enquête. Il était aussi présent sur les lieux d'une autre agression par arme à feu commise la même nuit, mais ce fait n'est jamais apparu dans les rapports de police. Et devant la Cour fédérale de district de Savannah, Coles s'est retrouvé pour la première fois accusé d'être l'auteur des tirs qui avaient tué Mark Allen MacPhail.
http://lci.tf1.fr/monde/amerique/2010-06/un-condamne-a-mort-noir-a-t-il-droit-a-un-nouveau-proces-5898398.html

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