mardi 20 juillet 2010

Affaire Bettencourt - Antoine Gillot : "Ce que j'ai entendu est proprement hallucinant"

Il y a quelques semaines encore, Me Antoine Gillot était inconnu du grand public, et avait tout juste commencé à se faire un nom dans le cercle très restreint des stars du barreau parisien. Spécialiste du droit du travail et des sociétés, il s’est retrouvé – par hasard, souligne-t-il – jeté sous le feu des projecteurs de l’actualité. Ami, depuis vingt-cinq ans, de Claire Thibout, l’ex-comptable de la famille Bettencourt, c’est, en effet, très naturellement qu’il devient son conseiller quand cette dernière est sur le point d’être licenciée par ses patrons. Pascal Bonnefoy, l’ancien majordome d’André Bettencourt, a choisi Me Gillot pour les mêmes raisons.

L’avocat se confie à France-Soir, donnant sa vision personnelle d’un dossier qu’il tient pour une « affaire d’Etat ».

France-Soir. C’est quoi, pour vous, l’affaire Bettencourt ?
Antoine Gillot. Un triste drame familial avant toute chose. Une fille unique qui aime sa mère, et qui voit des gens intéressés s’agiter autour d’elle. Mais c’est aussi une histoire qui intervient, dans un contexte extraordinaire, chez l’une des femmes les plus riches du monde, dont le mari était un ancien ministre.

F.-S. Est-ce une affaire d’Etat ?
A. G. Oui, aujourd’hui, c’est une affaire d’Etat. Par un enchaînement des choses, on a découvert de la fraude fiscale massive, l’intervention du pouvoir… On accueille ainsi à l’Elysée Mme Bettencourt alors qu’une procédure est en cours [initiée par sa fille Françoise contre François-Marie Banier pour abus de faiblesse, NDLR]. On trouve un procureur [le juge Philippe Courroye, NDLR] très proche de la présidence qui conclut au rejet de la plainte de la fille de Mme Bettencourt… Enfin, on découvre, à travers Eric Woerth, un vrai conflit d’intérêts, et l’éternel problème du financement des partis. On a donc tous les ingrédients d’une affaire d’Etat.

F.-S. Quels sont les éléments déclencheurs ?
A. G. Le premier élément déclencheur, c’est les écoutes réalisées par mon client Pascal Bonnefoy [l’ancien majordome d’André Bettencourt, NDLR].

F.-S. Parlez-nous de lui…
A. G. Pascal Bonnefoy a accompagné André Bettencourt jusqu’à sa mort. Il dormait sur un lit de camp, à côté de lui. André Bettencourt était, pour lui, comme un deuxième père. Un jour, M. Bonnefoy est venu dans mon cabinet avec un petit dictaphone. Il l’a déposé sur mon bureau et a appuyé sur une touche. Ce que j’ai entendu était proprement hallucinant. Ensuite, nous avons discuté longuement sur le fait de donner ou non les enregistrements à la fille de Mme Bettencourt.

F.-S. Et le deuxième élément déclencheur ?
A. G. C’est la plainte pour vol de documents déposée par Mme Bettencourt et son avocat, Maître Kiejman, contre ma cliente Claire Thibout.

F.-S. Le vol supposé des fameux carnets de caisse…
A. G. Des carnets dont elle a transmis, je tiens à le préciser, l’intégralité à Mme Bettencourt lors de son départ. J’ai, en effet, négocié, dans le cadre de son licenciement, la restitution de tous les documents qui étaient en sa possession. Pour chacun d’entre eux, nous disposons d’un récépissé écrit.

F.-S. C’est donc parce qu’on a déposé plainte contre elle que votre cliente a décidé de parler ?
A. G. André Bettencourt ne connaissait pas tout de l’attitude de François-Marie Banier à l’égard de sa femme. Il a été informé à la fin de sa vie par Claire Thibout. Il lui a dit : « Claire, je ne peux rien faire. » C’est à ce moment-là qu’elle est allée voir sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt. Vous savez, Banier a mis en place une véritable organisation autour de la famille Bettencourt. Gilles Brucker, le médecin qui fait des attestations au moment des donations importantes, est l’un de ses proches. Jean-Michel Normand, le notaire qui a rédigé toutes les donations dont il a bénéficié, également.

F.-S. Quelles sont les informations essentielles que votre cliente amène dans le dossier ?
A. G. Elle apporte deux informations essentielles. La première, sur l’abus de faiblesse, parce qu’elle a été en charge de toute la comptabilité et de la fiscalité personnelle de Mme Bettencourt. C’est elle qui appelait le notaire quand cette dernière souhaitait faire une donation à François-Marie Banier. C’est donc un témoin-clef dans le procès qui oppose la fille de Mme Bettencourt à Banier. Claire Thibout est la mémoire vivante de ce dossier. La deuxième chose, c’est qu’elle était une collaboratrice proche d’André Bettencourt. Elle est aussi, par conséquent, le témoin du versant politique de cette affaire, notamment des relations entre Patrice de Maistre et Eric Woerth.

F.-S. Votre cliente continue-t-elle à affirmer que des enveloppes d’argent étaient destinées à des politiques ?
A. G. Elle n’est jamais revenue sur ses propos. Une partie non négligeable des espèces qui circulaient était, de toute évidence, destinées à des politiques. L’argent politique était affecté à M. Bettencourt. Quand on regarde les carnets de caisse, on peut voir que Claire Thibout effectuait des retraits d’espèces dont une partie allait aux salariés – coiffeur, médecins, etc. – qu’elle payait elle-même. D’autres sommes étaient remises directement à M. Bettencourt. Ce sont ces dernières que je qualifie d’espèces « politiques ».

F.-S. Mais votre cliente n’en apporte aucune preuve…
A. G. Elle préparait les enveloppes pour M. Bettencourt, mais n’a jamais remis personnellement de l’argent à des politiques, et elle n’a jamais assisté à de telles remises. Mais quoi de plus normal ? On n’assiste pas à ces remises d’espèces. Par définition, elles se font dans la plus grande discrétion. Quand on donne du cash à un politique, on ne lui demande pas un reçu ! Chantal Trovel, l’ancienne secrétaire personnelle de M. Bettencourt, a confirmé que ces enveloppes étaient remises à des politiques. C’était d’ailleurs connu de la quasi-totalité du personnel. Pascal Bonnefoy, le majordome, le confirme : il était également au courant. Il y a un faisceau d’indices qui laisse penser que la famille Bettencourt, notamment à travers des dons en espèces, finançait des partis politiques.

F.-S. Avez-vous le sentiment que l’essentiel des pièces du dossier est désormais connu ?
A. G. Evidemment non ! Nous sommes seulement dans l’enquête préliminaire. Avec un procureur, M. Courroye, qui cadenasse tout, et qui refuse qu’un juge indépendant soit saisi. Je vous rappelle qu’il a conclu au rejet de la plainte pour « abus de faiblesse » déposée par la fille de Mme Bettencourt contre M. Banier. Donc, M. Banier peut continuer à piquer dans la caisse tranquillement. Comment justifier que Courroye s’empresse de placer en garde à vue Claire Thibout et Pascal Bonnefoy et, par contre, attende un mois avant d’entendre Patrice de Maistre et François-Marie Banier ? Il n’interroge même pas Mme Bettencourt dont l’avocat prétend, pour sa part, qu’elle est en pleine possession de ses moyens ! Qu’attend-on alors pour l’entendre dans le cadre d’une garde à vue ? Cela n’a que trop tardé. A la vérité, tout le monde – son avocat, ses proches – sait que c’est une femme affaiblie, incapable de répondre à des questions compliquées.

F.-S. Pourquoi, selon vous, serait-elle ainsi protégée ?
A. G. Parce que Mme Bettencourt est la principale bailleresse des fonds de l’Etat UMP. Elle fait partie de la caste des intouchables. L’objectif, aujourd’hui, est de sauver le soldat Woerth et de protéger le président Sarkozy. Pour cela, il faut éviter de saisir un juge indépendant. Quand Eva Joly dit que le juge Courroye est aux ordres, je pense qu’elle est proche de la vérité.

F.-S. Votre cliente accuse, sans preuve, Eric Woerth d’avoir touché de l’argent…
A. G. Patrice de Maistre a dit à ma cliente qu’il avait remis, pendant un dîner, 150.000 € à M. Woerth.

F.-S. Un dîner dont on ignore la date…
A. G. On sait aujourd’hui que les Woerth et les Maistre se retrouvaient pendant des dîners…

F.-S. Eric Woerth affirme avoir rencontré Patrice de Maistre pour lui demander des conseils au sujet de l’avenir professionnel de sa femme…
A. G. Comme si on conseillait une femme de ministre sur son avenir !… Qui plus est, une femme âgée de 45 ans… C’est ridicule !
http://www.francesoir.fr/argent-justice-politique/affaire-bettencourt-antoine-gillot-ce-que-jai-entendu-est-proprement-hallucinant

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