samedi 31 juillet 2010

Ce que risquent les protagonistes de l’affaire Bettencourt

Quand on demande au procureur de la République Philippe Courroye s’il a le sentiment que son action est comprise et que ses décisions, le jour venu, le seront, il sourit, à la fois fataliste et philosophe. Et il s’en tire par une pirouette : « Je suis habitué, vous savez. C’est l’histoire du type qui lance une pièce en l’air. Face, il perd. Pile, c’est l’autre qui gagne… »

Il n’est donc pas né celui qui empêchera Courroye, son Code pénal sous le bras, de suivre son chemin, et de le suivre jusqu’au bout. Ce n’est pas une question de popularité. Sous son autorité, les enquêtes – marquées vendredi encore par une seconde garde à vue de cinq heures de Patrice de Maistre, le gestionnaire controversé de la fortune de Liliane Bettencourt – sont menées, mine de rien, tambour battant : en cinq semaines plus de 1.300 procès-verbaux ont été dressés, et le 11 juillet, par exemple, six perquisitions ont eu lieu simultanément. Il n’y aura pas, laisse-t-on entendre, de « vacances judicaires » même si le mois d’août devrait d’abord permettre au procureur de la République et à son équipe d’analyser et de recouper tous les éléments d’un dossier Bettencourt qui s’est enrichi – et épaissi – au fil des semaines.

Une certitude : le jour venu, Philippe Courroye expliquera ses décisions, quelles qu’elles soient : poursuite ou classement sans suites. En moyenne, sur un an, sur 123.000 plaintes enregistrées à Nanterre (toutes infractions confondues), 33.000 sont retenues comme pouvant faire l’objet de « poursuites », et les autres, c’est la loi, passent à la trappe. Pour les motifs les plus variés : désistement du plaignant, recherches infructueuses, infraction insuffisamment caractérisée. Dans tous les cas, Philippe Courroye, cette fois, dira donc publiquement les motifs et la signification de ses arrêts. Chaque fois qu’un des dossiers enchevêtrés pourra être clos. Ses premières conclusions sont attendues cet automne.

En l’état, cette affaire à tiroirs née de la plainte – parfaitement légitime dans son principe, dit-on, déposée en décembre 2007 par Françoise Bettencourt contre sa mère – peut réserver encore bien des surprises. D’autant que, si Liliane et Françoise Bettencourt – qui disposent chacune de « l’arme atomique » et ont, si l’on peut dire, commencé de s’en servir – ne trouvent pas les chemins des retrouvailles, tout peut arriver. Par exemple, que Liliane, à bout, révoque la donation des 30 % de L’Oréal qu’elle a consentie à sa fille. Un cas de figure qui remettrait en question les équilibres capitalistiques d’un groupe aussi puissant que convoité. En tout cas, la situation n’est plus totalement « sous le contrôle » de personne. Tout se passe comme si les uns et les autres étaient aujourd’hui « débordés », et pas sûr que certains politiques, notamment à droite, en soient si désolés que ça.

Les enregistrements clandestins réalisés au domicile de Liliane Bettencourt par son majordome constituent une infraction pénale. Tout comme le fait, pour certains journaux et d’abord le site Médiapart d’Edwy Plenel, de les avoir reproduits. A fortiori in extenso. Selon l’article 226.8 du Code pénal, le responsable risque une peine d’un an d’emprisonnement et 15.000 € d’amende. Cette enquête-là devrait être conclue dès cet automne.

L’enquête sur le contenu des enregistrements car, ainsi est la vie judiciaire, on peut demander des comptes à quelqu’un pour avoir procédé à un enregistrement illicite, son contenu peut cependant donner lieu à poursuites. Une fois vérifiée l’authenticité des enregistrements (car il aurait pu y avoir « bidouillage » comme cela a été le cas dans l’affaire Clearstream) et une fois admis que les enregistrements ne rendent pas compte de la totalité des conversations de Liliane Bettencourt pendant la période considérée, il y a aujourd’hui présomptions de fraude fiscale sur des avoirs à l’étranger non déclarés. Il faut, pour enquêter là-dessus, une plainte de la commission des infractions fiscales, et cela dépend de Bercy.

En revanche, le blanchiment de fraudes fiscales fait l’objet, directement à l’initiative du procureur Courroye, d’une investigation. Visés : deux comptes à l’étranger, mais surtout le sort de l’île d’Arros (dans les Seychelles) achetée par les Bettencourt en 1999 (sans être déclarée à l’administration fiscale) et curieusement rétrocédée en 2006 à une Fondation animée par l’avocat fiscaliste Fabrice Goguel, Liliane Bettencourt n’y jouant plus qu’un rôle à la fois coûteux et marginal. Les responsables de la Fondation risquent une mise en examen pour abus de confiance et escroquerie.

Y a-t-il eu financement politique illicite ? L’enquête se poursuit, même si, en théorie, elle aurait pu ne jamais démarrer car les faits sont prescrits. En l’état, une chose est acquise : l’ex-comptable des Bettencourt, Claire Thibout, non contente d’être revenue au moins deux fois sur ses premières déclarations et d’être contredite par Eric Woerth et Patrice de Maistre, a reçu en « cadeau » (de départ) de Liliane Bettencourt une somme de 491.000 € et une autre de 400.000 € de… Françoise Bettencourt. Cet ex-comptable n’est pas, dit joliment un témoin, « Saint Jean Bouche d’or ». Un autre la décrit comme un « agent double ». Le plus probable : Eric Woerth sera « blanchi » des accusations portées contre lui.

Le conflit d’intérêts – par exemple le cumul ministre du Budget-trésorier de l’UMP – est-il, dans le cas Woerth, établi ? On peut, en théorie, en discuter à perte de vue. En tout état de cause, outre que Patrice de Maistre (qui fait partie, c’est vrai, du « premier cercle » des soutiens de Nicolas Sarkozy) ne dit pas que Woerth, alors au Budget, lui aurait demandé d’embaucher sa femme, le conflit d’intérêts n’est pas une infraction pénale. Quant à la Légion d’honneur attribuée à Maistre sur une proposition de Jean-Louis Borloo et remise par Woerth dans le cadre d’un processus initié « de longue date », chacun peut en penser ce qu’il veut mais, sur la base des témoignages recueillis, cela ne relève pas du juge. Le plus problable : pour Woerth, le jour venu, il y aura, là aussi, un point final.

La plainte déposée par Françoise Bettencourt pour « abus de faiblesse » aux dépens de sa mère a déjà mis en lumière des singularités. Exemple : le majordome qui réalise les enregistrements demande qu’ils ne soient pas rendus publics avant qu’il ait reçu de Liliane Bettencourt, pour prime de départ, un chèque de 215.000 € alors que la milliardaire le presse de… rester à son service. Quant à Françoise Bettencourt et à son tumultueux avocat villepiniste Olivier Metzner, à peine ont-ils reçu les enregistrements, qu’ils les transmettent ou font transmettre à la presse, via Médiapart. Et ces enregistrements, au fait, ont-ils été faits spontanément ? Officiellement, oui. Les enquêteurs, eux, en doutent. Le risque encouru par certains : être poursuivi pour subornation de témoins. En tout état de cause, c’est Liliane Bettencourt – et elle seule – qui aurait pu porter plainte contre François-Marie Banier pour « abus de faiblesse » si elle estimait avoir été abusée, et non pas sa fille, Françoise, qui n’en a pas le droit. Le plus probable : la plainte pour « abus de faiblesse » sera classée, faute de preuves.

Un autre pan de l’enquête concerne François-Marie Banier, photographe de son état. L’homme doit d’être aujourd’hui richissime aux faveurs de Liliane Bettencourt (qu’il a su amuser) après avoir su jadis attirer l’attention d’André Bettencourt (dont il a été très proche également). Cette investigation-là a été confiée aux meilleurs limiers et étendue à d’autres familles qui auraient ou être, elles aussi, partiellement grugées par le « photographe ». Mais, actuellement, sauf à considérer que le droit pénal est là pour « protéger de la passion », rien n’est établi qui puisse faire croire que Liliane Bettencourt n’était pas maîtresse d’elle-même quand elle a fait cadeau, en dix ans (1997-2007), à Banier – doté clairement, dit un témoin, d’un « charme diabolique » – d’une somme totale de 1 milliard d’euros. Liliane Bettencourt affirme, en effet, avoir fait ces dons « en toute connaissance de cause ». A-t-elle même, un temps, envisagé d’adopter Banier ? Rien ne l’authentifie. Au demeurant, Banier n’apparaît qu’une fois dans les enregistrements, dont Médiapart a assuré la publicité. Le plus probable : Banier s’en sortira sans trop de dommages.
http://www.francesoir.fr/justice-politique/ce-que-risquent-les-protagonistes-de-l-affaire-bettencourt

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